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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/79

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plus utile et de plus saint pour les chrétiens rassemblés.

35. Quant à ce qu’on établit hors de la coutume et dont on recommande l’observation comme celle d’un sacrement, je ne puis l’approuver, et si je n’ose pas le blâmer plus ouvertement, c’est pour éviter les scandales de quelques personnes turbulentes ou même pieuses. Mais je m’afflige du peu de soin qu’on met à beaucoup de salutaires prescriptions des divins livres ; tandis que tout est si plein de fausses opinions qu’on reprend plus sévèrement celui qui aura touché la terre d’un pied nu dans l’octave de son baptême, que celui qui aura enseveli sa raison dans l’ivrognerie. Or toutes ces pratiques qui ne sont ni soutenues par l’autorité des Écritures, ni réglées dans les conciles des évêques, ni appuyées par la coutume de l’Église universelle, mais qui varient à l’infini selon la diversité des mœurs et des lieux, sans qu’on puisse facilement ni même absolument découvrir les raisons qui ont pu les faire établir, je pense qu’il faut, lorsqu’on le peut, les abolir sans hésiter. Quoiqu’on ne puisse trouver comment elles sont contraires à la foi, elles oppriment par des obligations serviles cette religion même que la miséricorde de Dieu a voulue libre en n’instituant qu’un petit nombre de sacrements parfaitement connus ; la condition des Juifs serait plus tolérable qu’une telle servitude, car s’ils ont méconnu le temps de la liberté, les fardeaux qu’ils portent sont au moins imposés par la loi divine et non point par des opinions humaines. Cependant l’Église de Dieu, établie au milieu de beaucoup de paille et de beaucoup d’ivraie, tolère bien des choses, mais elle n’approuve, ne tait, ni ne fait ce qui est contre la foi ou les bonnes mœurs.

36. Vous me parlez de quelques-uns de nos frères qui s’abstiennent de viandes, les croyant impures ; cela blesse manifestement là foi et la saine doctrine. Si je m’étendais sur ce sujet, on pourrait croire que ce côté des préceptes apostoliques reste obscur ; mais l’Apôtre, après s’être fort expliqué là-dessus, a réprouvé en ces termes l’opinion impie de ces hérétiques : « Or, l’Esprit dit expressément que, dans les temps à venir, quelques-uns abandonneront la foi, en suivant des esprits d’erreur et des doctrines diaboliques, enseignées par des imposteurs pleins d’hypocrisie dont la conscience est noircie de crimes, qui interdiront le mariage, l’usage des viandes que Dieu a créées pour être reçues avec action de grâces par les fidèles et par ceux qui ont connu la vérité. Car tout ce que Dieu a créé est bon, et on ne doit rien rejeter de ce qui se mange avec action de grâces, parce qu’il est sanctifié par la parole de Dieu et par la prière[1]. » Et dans un autre endroit, parlant du même sujet : « Tout est pur, dit-il, pour ceux qui sont purs ; rien ne l’est pour les impurs et les infidèles ; leur esprit et leur conscience sont souillés[2]. » Lisez vous-même le reste, et montrez-le à ceux que vous pourrez, afin qu’ils ne rendent pas vaine pour eux la grâce de Dieu qui les a appelés à la liberté. Seulement qu’ils n’abusent pas de cette liberté pour vivre selon la chair, et parce qu’on ne leur permet pas les abstinences superstitieuses et contraires à la foi, qu’ils ne refusent pas, de se priver d’aliments, quels qu’ils soient, pour mettre un frein à la concupiscence charnelle.

37. Il est des chrétiens qui tirent au sort dans le livre des Évangiles ; quoique cela vaille mieux que d’aller consulter les démons, toutefois cette coutume me déplaît[3] ; je n’aime pas qu’on fasse servir les divins oracles, qui ont pour but la vie future, aux affaires du temps et aux vanités de cette vie.

38. Si vous ne trouvez pas que je vous aie suffisamment répondu, c’est que vous ne connaissez ni mes forces ni mes occupations. Il s’en faut bien que rien ne me soit caché, ainsi que vous le croyez ; rien ne m’a plus affligé que ce que vous m’avez dit à cet égard dans votre lettre, parce que c’est manifestement faux, et je m’étonne que vous ne sachiez pas que, non-seulement beaucoup de choses me sont cachées sur d’autres innombrables sujets, mais que, dans les saintes Écritures même, j’ignore plus que je ne sais. Si mon espérance dans le nom du Christ n’est pas tout à fait stérile, c’est que j’ai cru à mon Dieu lorsqu’il a dit que l’amour de Dieu et du prochain comprend toute la loi et les prophètes[4] ; c’est que je l’ai éprouvé et l’éprouve chaque jour. Pas un mystère, pas une parole des saints livres ne s’offre à moi que je n’y trouve ces mêmes préceptes : « Car, la fin des commandements c’est la charité qui naît d’un cœur pur,

  1. I Tim. IV, 1-5
  2. Tit. I, 15.
  3. Dans les capitulaires des rois de France (année 789), il est défendu d’interroger le sort avec les psaumes et l’Évangile ; la môme défense avait déjà été portée par les conciles d’Agde en 506, d’Orléans en 511, d’Auxerre en 578
  4. Matth. XXII, 40