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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/149

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de quarante-deux. C’est qu’un même personnage a été compté deux fois ici, savoir Jéchonias, avec lequel la ligne des ancêtres de Jésus-Christ fait comme un détour dans les nations étrangères, au moment où les Juifs quittent leur pays pour se rendre à Babylone. De même, quand une ligne abandonne sa direction et, pour aller d’une autre côté, fléchit en forme d’angle, on compte deux fois la pointe de l’angle qui termine la première direction et commence la seconde. Ce fait annonçait déjà que le Christ passerait en quelque sorte de Jérusalem à Babylone, c’est-à-dire des Juifs aux gentils, et serait comme la pierre angulaire des uns et des autres, devenus fidèles. Dieu exprimait alors en figure et préparait la réalité à venir. Car le nom même de Jéchonias, en qui nous voyons l’image prophétique d’un tel mystère, signifie préparation de Dieu. Ainsi, il n’y a pas quarante-deux générations, quoique ce nombre soit le produit de trois fois quatorze : mais à cause d’un personnage deux fois compté, on en trouve seulement quarante-et-une, si l’on y comprend Jésus-Christ lui-même qui préside en Roi au nombre quarante, c’est-à-dire à notre vie temporelle et terrestre, pour la gouverner.

11. Comme saint Matthieu voulait représenter le Christ venant ici-bas participer à notre mortalité, il a rappelé, en descendant depuis Abraham jusqu’à Joseph et jusqu’à la naissance de Jésus-Christ lui-même, les générations dont nous venons de parler : et cela dès le début de son Évangile. Mais saint Luc, dont le dessein était de faire ressortir particulièrement le caractère sacerdotal du Sauveur venu pour expier les péchés des hommes, trace une généalogie qui va, non en descendant mais en remontant ; et ce n’est pas dès le commencement de son récit, mais après le baptême du divin Maître, quand une voix du ciel a fait connaître le Fils de Dieu et que Jean-Baptiste lui a rendu témoignage en disant : « Voici celui qui efface les péchés du monde[1]. » Or, l’Évangéliste en remontant la suite des générations ne s’arrête pas à Abraham, et il arrive jusqu’à Dieu, avec qui nous sommes réconciliés par la rémission et l’expiation de nos fautes. C’est encore à bon droit qu’il s’attache à l’origine d’adoption, parce que nous devenons enfants de Dieu par adoption, en croyant au Fils de Dieu, et l’idée d’une génération charnelle, marque plutôt le Fils de Dieu devenant pour nous le Fils de l’homme. Du reste, que saint Luc en disant Joseph fils d’Héli n’ait pas voulu faire entendre que Joseph était né de ce personnage, mais bien, que celui-ci l’avait adopté, l’Évangéliste en donne la preuve suffisante dans les derniers mots de sa généalogie. Il appelle, en effet, Adam lui-même fils de Dieu, parce que, sorti des mains de Dieu, le premier homme fut placé comme un fils dans le Paradis, en vertu d’une grâce que le péché lui fit perdre peu après.

12. Ainsi donc la généalogie selon saint Matthieu nous indique que Notre-Seigneur Jésus-Christ a pris sur lui nos péchés, et celle de saint Luc, qu’il en a consommé l’expiation. C’est pourquoi l’un présente la suite des générations en descendant, et l’autre en remontant. Ce que nous disons s’accorde bien avec le langage de l’Apôtre saint Paul. Quand il déclare que Dieu a envoyé son propre Fils revêtu d’une chair semblable à celle qui est sujette au péché », il montre Jésus-Christ se chargeant de nos iniquités ; et quand il ajoute ces paroles : « Afin de condamner par le péché commis contre lui, le péché qui régnait dans notre chair », il fait voir le même Sauveur expiant nos crimes[2]. Aussi, l’Évangéliste saint Matthieu, à partir de David, poursuit la ligne des ancêtres du Messie, par Salomon, avec la mère duquel David se rendit coupable[3] ; tandis que saint Luc remonte au même patriarche par Nathan, prophète dont Dieu se servit pour lui annoncer le pardon de son péché[4]. Le nombre que présente la généalogie tracée par saint Luc offre encore lui-même le signe très-certain d’une entière rémission. Comme Jésus-Christ, toujours innocent, n’a joint aux iniquités des hommes qu’il a prises en sa chair, aucune iniquité personnelle, le nombre des noms, dans saint Matthieu, s’arrête à quarante sans comprendre Jésus-Christ. Mais le Sauveur nous a fait participer à la justice divine, nous a unis à lui et à son Père, en expiant nos fautes et en nous purifiant de toute souillure, pour réaliser ce que dit l’Apôtre : « Celui qui demeure attaché au Seigneur est un même esprit avec lui[5] : » et c’est pour cela que le nombre des noms dans saint Luc comprend Jésus-Christ par qui l’énumération commence, et Dieu par qui elle se termine. On trouve alors le nombre soixante-

  1. 1Jn. 1, 29
  2. Rom. 8, 3
  3. 2Sa. 11, 14
  4. Id. 12, 1-14 ; 11 Rétr. ch. 16
  5. 1Co. 6, 17