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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/179

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également aux Apôtres et de ne point porter de bâton et de ne porter autre chose que le bâton. Aussi bien, après leur avoir dit, suivant saint Matthieu : « Ne possédez ni or, ni arc gent, ni monnaie quelconque dans votre bourse ; n’ayez pour le voyage ni sac, ni deux habits, « ni souliers, ni bâton ; » il ajouta aussitôt : « Celui, en effet, qui travaille mérite qu’on le nourrisse. » D’où l’on voit suffisamment la raison pour laquelle il disait aux Apôtres de ne rien posséder et de ne rien porter avec eux. Il ne prétendait pas que l’usage des choses du monde ne fût point nécessaire à la vie, mais il les envoyait de manière à leur faire. Connaître que de la part des croyants évangélisés par eux toutes ces choses leurs seraient dues ; qu’ils y auraient droit comme le guerrier à sa solde, comme le vigneron au fruit de la vigne qu’il a plantée, comme le berger au lait du troupeau. C’est pourquoi a dit : saint Paul. « Qui fait la guerre à ses dépens ? Qui plante une vigne et ne mange pas de son fruit ? Qui paît un troupeau sans en recueillir le lait[1] ? » L’Apôtre parle ici des choses nécessaires aux prédicateurs de l’Évangile ; aussi dit-il un peu plus loin : « Si nous avons semé en vous des biens spirituels, est-ce une grande chose que nous moissonnions de vos biens temporels ? Si d’autres usent de ce pouvoir à votre égard, pourquoi pas plutôt nous-mêmes ? Mais nous n’en avons point usé. » Ces dernières paroles montrent que Jésus-Christ n’a pas voulu faire, aux prédicateurs de l’Évangile, une obligation de vivre uniquement sur les offrandes des fidèles instruits par eux de la sainte doctrine ; autrement l’Apôtre, vivant du travail de ses mains pour n’être à charge à personne, aurait agi contre ce précepte[2]; mais qu’il a entendu leur donner un droit qui implique un devoir pour autrui. Or, quand le Seigneur commande une chose, il y a péché de désobéissance à ne pas la faire ; mais quand il accorde un droit, on est libre de l’exercer ou d’y renoncer. Jésus-Christ donc en adressant aux disciples les paroles qui nous occupent, faisait ce que nous explique mieux le même Apôtre quand il dit un peu plus loin : « Ne savez-vous pas que les ministres du temple mangent de ce qui est dans le temple, et que ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel ? Ainsi le Seigneur a établi que les prédicateurs de l’Évangile vivraient de l’Évangile. Pour moi cependant je n’ai usé d’aucun de ces droits[3]. » En disant que le Seigneur l’a ainsi établi, mais que lui-même n’en a point profité, il montre qu’il s’agit d’un simple droit pour les ministres de l’Évangile, et non pas d’une obligation.

74. En établissant donc, comme le dit l’Apôtre, que les prédicateurs de l’Évangile devraient vivre de l’Évangile, Jésus-Christ voulait faire comprendre aux douze disciples qu’il leur fallait bannir toute inquiétude, et ne posséder ni ne porter absolument rien des choses de la vie. C’est pour cela qu’il dit : « pas même un bâton », mettant ainsi en relief ce principe que les fidèles doivent tout procurer à leurs ministres, qui du reste ne demandent rien de superflu. Et en ajoutant : « L’ouvrier en effet mérite qu’on le nourrisse », il déclarait parfaitement pourquoi et dans quel but il tenait ce langage. D’un autre côté c’est ce droit qu’il désigne sous le nom de verge lorsqu’il dit de ne rien porter en chemin que le bâton seulement ; » on pourrait exprimer ainsi brièvement sa pensée : Ne portez rien avec vous des choses nécessaires, pas même de bâton, ou le bâton seulement. Pas même de bâton, c’est-à-dire : pas même les moindres choses, ou : seulement le bâton, c’est-à-dire le pouvoir que je vous donne et en vertu duquel ce que vous ne porterez pas ne vous fera point défaut. Le Sauveur a donc recommandé également les deux choses. Mais parce que le même Évangéliste ne les a pas mentionnées dans son récit, on est porté à voir de l’opposition entre la défense de porter le bâton pris dans un sens, et l’ordre de ne porter que le bâton, pris dans un autre sens ; or notre explication doit éloigner cette idée.

75. Ainsi encore, en disant aux Apôtres, comme nous le lisons dans saint Matthieu, de ne point porter de chaussure avec eux, Jésus leur défendait le soin de s’en procurer et la crainte d’en manquer. C’est ainsi encore qu’il faut comprendre ce qui regarde les deux tuniques. Le Sauveur ne voulait pas qu’ils se missent en peine d’en porter une seconde pour remplacer au besoin celle dont ils étaient couverts, puisqu’ils avaient le pouvoir de s’en procurer autrement. Dès lors, si d’après le texte de saint Marc les Apôtres devaient avoir aux pieds des sandales ou des semelles, c’était pour faire ressortir une signification mystique de cette chaussure.

  1. 1Co. 9, 7
  2. 1Th. 2, 9
  3. 1Co. 9, 7-15