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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/211

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temps est proche ; je veux faire chez toi la Pâque avec mes disciples », il désigne évidemment celui que saint Marc et saint Luc appellent le père de famille, le maître de la maison dans laquelle on leur montra une salle pour y préparer la Pâque. Si donc saint Matthieu dit : « chez un tel », c’est évidemment une expression qu’il emploie de lui-même pour abréger le récit. Car s’il eût fait ainsi parler le Seigneur : Allez à la ville, et dites-lui : Mon temps est proche, je veux faire la Pâque chez toi ; on aurait certainement pu croire que ceci s’adressait à la ville même. Il ne prête donc point cette parole au Seigneur, en rapportant ses ordres, mais il dit de lui-même que le Seigneur ordonna l’aller vers un tel. Cette expression lui paraît suffisante pour faire connaître ce que Jésus commanda, sans répéter toutes ses paroles. En effet, on ne dit jamais réellement : Allez vers un tel ; qui pourrait le contester ? Si le Seigneur eût dit : Allez vers le premier venu, vers qui vous voudrez, ces mots auraient exprimé par eux-mêmes une idée complète, mais ils ne désignaient point vers qui il les envoyait ; tandis que saint Marc et saint Luc font parfaitement connaître cet homme sans désigner son nom. Car le Seigneur savait bien vers qui il les envoyait ; et afin qu’ils le pussent trouver eux-mêmes, il leur indique à quel signe ils le reconnaîtront. C’est un homme portant une cruche ou une amphore remplie d’eau : c’est lui qu’ils doivent suivre jusqu’à la maison qu’il veut occuper : On ne pouvait donc pas dire ici : Allez vers le premier venu : le sens de la phrase eût été complet, mais la pensée ainsi exprimée n’était plus vraie ; et en disant : Allez vers un tel, n’était-ce pas se servir d’une expression encore plus vague et moins admissible ? Évidemment les disciples ne furent point envoyés vers le premier venu, mais vers tel homme, c’est-à-dire, vers un homme qui leur fut clairement désigné. L’Évangéliste pouvait donc, sans citer textuellement, faire ainsi connaître et en son nom, ce qui avait été dit : Il les envoya vers un tel, pour lui dire : Je veux faire la Pâque chez toi. Il eût pu aussi écrire : Il les envoya vers un tel, en disant : Allez et dites-lui : Je veux faire la Pâque chez toi. Il fait donc parler le Sauveur, il cite ses paroles : « Allez dans la ville », puis il ajoute : « vers un tel ; » non pas que le Seigneur ait dit ce mot, mais l’évangéliste nous fait entendre, par là, qu’il y avait dans la ville un homme dont il ne cite point le nom, vers qui furent envoyés les disciples du Seigneur, afin de préparer la Pâque. L’auteur écrit donc ici deux mots de lui-même, puis il reprend la suite des paroles du Seigneur : « Et dites-lui : Le Maître dit. » Si quelqu’un voulait savoir à qui, on pourrait lui répondre : A un homme vers qui l’évangéliste indique clairement qu’ils furent envoyés, quand il dit : « Vers un tel. » Cette manière de parler est peu usitée ; mais elle a ici un sens complet : Peut-être la langue hébraïque, dans laquelle on prétend qu’écrivit saint Matthieu, permet-elle de mettre toutes ces expressions dans la bouche du Seigneur, sans violer les règles : ceux qui connaissent cette langue, peuvent s’en rendre compte. On eût encore pu s’exprimer ainsi en latin : Allez dans la ville, vers celui que vous désignera un homme venant à vous portant une cruche d’eau : car un ordre semblable pourrait s’exécuter sans embarras. Si l’on disait également : Allez dans la ville, vers tel homme, qui demeure à tel ou tel endroit, dans cette maison, ou dans une autre, la désignation du lieu ou de la maison ferait comprendre ces paroles ; on pourrait faire ce qu’elles expriment. Mais si on ne donnait pas ces signes distinctifs, ou d’autres semblables, et qu’on dît : Allez vers un tel, et dites-lui ; on ne pourrait être compris ; car on voudrait, par ces mots : vers un tel, désigner quelqu’un en particulier sans rien exprimer qui le distingue. Si donc nous regardons cette expression comme venant de l’évangéliste lui-même, elle pourra paraître un peu obscure, en énonçant plus brièvement la pensée ; mais elle renfermera un sens complet. Si saint Marc appelle lagène ce que saint Luc nomme amphore, l’un indique l’espèce de vase, l’autre la manière de le porter ; mais tous deux rendent exactement le fond de la pensée.

158. Saint Matthieu continue : « Le soir donc étant venu, il était à table avec ses douze disciples, et pendant qu’ils mangeaient, il dit : En vérité, je vous déclare qu’un de vous doit me trahir. Alors grandement contristés, ils commencèrent à lui demander chacun en particulier : Est-ce moi, Seigneur ? » etc, jusqu’à ces mots : « Mais prenant la parole, Judas, qui le trahit, dit : Est-ce moi, Maître ? Il lui répondit Tu l’as dit[1]. » Si nous voulons examiner ce passage, nous n’y rencontrerons aucune difficulté, non plus que dans les trois autres évangélistes qui rapportent le même fait[2].

  1. Mat. 26, 20-25
  2. Mrc. 14, 17-21 ; Luc. 22, 14-23 ; Jn. 13, 21-27