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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/234

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faculté qui flotte de pensées en pensées, et il n’est au pouvoir de personne d’en rappeler les souvenirs comme et quand il le veut. Si donc il est vrai de dire que ces écrivains, ; aussi saints que véridiques, se sont entièrement abandonnés dans le récit de leurs souvenirs, à l’action toute puissante de Dieu, pour qui le hasard n’est rien ; est-ce à un homme encore exilé et si éloigné du regard de Dieu, de soutenir que tel fait devait être placé dans tel ordre, quand on ignore pourquoi Dieu a voulu le placer dans tel autre ? Si, « dit saint Paul, notre Évangile est voilé, il ne l’est que pour ceux qui périssent. » Après ces mots : « Pour les uns nous sommes une odeur de vie pour la vie, et pour les autres une odeur de mort pour, la mort », il ajoute aussitôt : « Mais qui est capable de le comprendre[1] ? » c’est-à-dire : qui est capable de comprendre avec quelle justice tout cela s’opère ? Le Seigneur exprime la même pensée : « Je suis venu afin que ceux qui ne voient pas, voient, et que ceux qui voient, deviennent aveugles[2] ? » Telle est, en effet, la profondeur des richesses de la science et de la sagesse divines, que le Tout-Puissant tire d’une seule et même masse des vases d’honneur et des vases d’ignominie ; et puis n’a-t-il pas été dit à la chair et au sang : « O homme qui es-tu pour oser répondre à Dieu[3] ? » Qui donc en ce point comme en tout autre connaît la pensée de Dieu ; qui a été son conseiller[4], quand il dirigeait le cœur et les souvenirs des évangélistes, quand il les couronnait, au faîte de l’Église, d’une autorité si sublime, que ce qui peut paraître en eux contradictoire, fait tomber les uns dans l’aveuglement, et les livre justement aux horreurs de la concupiscence du cœur et du sens réprouvé[5] ; et détermine les autres à réformer leur manière de voir, comme le vent de la justice mystérieuse du Tout-Puissant ? Aussi un prophète dit-il au Seigneur : « Vos pensées sont devenues trop profondes ; l’homme imprudent ne les connaîtra pas et l’insensé n’y pourra rien comprendre[6]. »

49. Ceux qui liront ces lignes tracées par moi, avec l’aide du Tout-Puissant, et dont j’ai reconnu l’à-propos en cet endroit, je les prie de les rappeler à leur souvenir dans toutes les difficultés de ce genre, afin de m’en épargner la répétition. Si donc on étudie ce passage de l’évangile, sans aucun parti pris d’impiété, on comprendra facilement qu’en y mentionnant la troisième heure, saint Marc a voulu qu’on se souvînt de l’heure précise à laquelle les Juifs ont crucifié le Sauveur, eux qui voulaient rejeter la honte de ce crime sur les Romains, sur leurs princes ou sur leurs soldats. Nous lisons : « Ils le crucifièrent, partagèrent ses vêtements et les tirèrent au sort pour savoir à qui ils appartiendraient. » De qui est-il question dans cet endroit ? N’est-ce pas des soldats, comme saint Jean le déclare formellement ? Afin donc de faire retomber, non pas sur les soldats, mais sur les Juifs, la pensée d’un si grand crime, saint Marc écrit ces paroles : « Il était la troisième heure et ils le crucifièrent. » Comment ne pas voir alors que les auteurs véritables du crucifiement, ce sont ceux qui l’ont réclamé à la troisième heure par leurs vociférations multipliées et non les soldats qui n’ont accompli le crime qu’à la sixième heure ?

50. Dans ces paroles de saint Jean : « On était à la veille de Pâque, à la sixième heure », quelques auteurs ont voulu voir la troisième heure, celle à laquelle Pilate s’assit sur son tribunal. Dans cette opinion le crucifiement aurait eu lieu à l’expiration de la troisième heure ; trois heures se seraient écoulées pendant que Jésus était suspendu à la croix, après quoi il rendit le dernier soupir ; de cette manière ce ne serait qu’à partir de l’heure de sa mort, ou la sixième heure, jusqu’à la neuvième, que les ténèbres couvrirent toute la face de la terre. Voici comment ils appuient leur système. Ce jour qui était suivi du sabbat était la veille de la Pâque des Juifs, parce que les Azymes commençaient à ce sabbat. Or, la Pâque véritable, non pas celle des Juifs, mais des chrétiens, celle qui s’accomplissait dans la passion du Sauveur, avait déjà commencé sa préparation ou sa vigile, à partir de la neuvième heure de la nuit, puisque c’est à partir de ce moment que les Juifs se sont préparés à immoler le Sauveur. Et en effet, le mot parasceve, que nous traduisons par la veille, signifie préparation. Dès lors, à partir de la neuvième heure de la nuit jusqu’au crucifiement, on arrive à la sixième heure de la préparation selon saint Jean, et à la troisième heure du jour selon saint Marc. Il suit de là que la troisième heure dont parle saint Marc, sous forme de récapitulation, ne l’ut pas celle où les Juifs crièrent. « Crucifie, crucifie-le ; » il appelle troisième heure celle où Jésus fut attaché à la croix. Quel fidèle n’adopterait pas cette solution, si

  1. 2Co. 2, 16
  2. Jn. 9, 39
  3. Rom. 9, {{corr|21-20}|20}
  4. Id. 11, 33,34
  5. Id. 1, 21-28
  6. Psa. 91, 6-7