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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/254

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car il serait en contradiction avec saint Jean, qui ne suppose aucune apparition pendant les huit jours qui suivirent la résurrection. À partir de l’apparition aux bords du lac de Tibériade, rien n’empêche d’admettre qu’il se montra à eux, et mangea avec eux chaque jour. L’expression : « Pendant quarante jours », peut donc être ici comme une formule mystérieuse, figurant par les deux termes qui la composent, quatre et dix, le monde tout entier ou la durée temporelle du siècle, et dans la première dizaine qui contient les huit premiers jours de la résurrection, on peut prendre facilement la partie pour le tout, selon le langage de l’Écriture.

85. On peut maintenant rapprocher de ces textes, celui de saint Paul, pour voir s’il s’y rencontre quelque difficulté. « Jésus-Christ, dit-il, est ressuscité le troisième jour, conformément à l’Écriture et il a apparu à Pierre. » Saint Paul ne dit pas : il a apparu d’abord à Pierre, car il serait en opposition avec l’Évangile, qui déclare que Jésus est d’abord apparu aux saintes femmes. « Il apparut ensuite à douze, dit encore saint Paul. » Quels étaient ces douze ; à quelle heure ? L’Apôtre ne le dit pas, il affirme seulement que ce fut le jour même de la résurrection. « Ensuite à plus de cinq cents frères en même temps ;» étaient-ils réunis avec les onze, les portes fermées, par crainte des Juifs, quand Jésus se présenta après le départ de saint Thomas ? Est-ce après les huit jours qui suivirent la résurrection ? Toutes ces suppositions sont admissibles. « Ensuite à Jacques ; » ici nous ne. devons pas supposer que Jésus apparut d’abord à cet apôtre ; mais seulement qu’il jouit d’une manifestation particulière. « Ensuite encore à tous les apôtres ; » cette apparition n’eut lieu non plus que dans la suite, quand Jésus voulut converser jusqu’à l’Ascension plus familièrement avec eux. « Enfin il m’a apparu à moi-même, qui ne suis entre tous que comme un avorton[1]. » Mais cette apparition se fit du haut du ciel, longtemps après l’ascension.

86. Nous avons dit enfin qu’il y avait un mystère caché dans ces paroles rapportées par saint Matthieu et par saint Marc : « Je vous précéderai en Galilée, et là vous me verrez[2]. » C’est ce mystère qu’il nous reste à étudier. Cet ordre du Sauveur a été accompli, mais il ne l’a pas été immédiatement ; beaucoup de choses se sont passées auparavant, : et néanmoins, sans toutefois imposer de nécessité, ces apparitions en Galilée étaient annoncées, comme devant avoir lieu seules ou du moins avant toute autre. Cependant comme ces paroles ne viennent pas de l’Évangéliste lui-même, mais de l’Ange, qui en cela ne faisait qu’accomplir l’ordre du Seigneur ; et comme le Seigneur en personne les a redites peu de temps après, nous devons y voir un sens mystérieux et prophétique. Le mot Galilée signifie transmigration ou révélation. Prenons d’abord ce mot dans le sens de transmigration et cherchons-en l’explication. « Il vous précède en Galilée, là vous le verrez : » n’est-ce pas annoncer que la grâce de Jésus-Christ quittera le peuple d’Israël pour passer ou émigrer chez les Gentils ? La prédiction de l’Évangile faite par les Apôtres eût-elle été reçue par les païens, si le Seigneur ne lui avait préparé la voie dans le cœur des hommes ? Et c’est là ce que signifient ces mots : « Il vous précède en Galilée. » La joie qu’éprouvèrent les Apôtres, en voyant que les obstacles de toute sorte se levaient si aisément et qu’ils trouvaient eux-mêmes une entrée si facile pour éclairer les intelligences, cette joie est prédite par ces mots : « Là vous le verrez », c’est-à-dire, là vous trouverez ses membres, là vous reconnaîtrez son corps vivant dans la personne de ceux qui vous recevront. Si maintenant nous interprétons le mot Galilée dans le sens de révélation, if ne s’agit plus d’une manifestation faite sous la forme d’un esclave, mais dans la gloire d’un Fils, en tout semblable à son Père[3] ; manifestation promise, en saint Jean, à ceux qui sont ses amis : « Et je l’aimerai, dit-il, et je me manifesterai à lui[4]. » Il ne s’agit donc plus seulement de le voir, après sa résurrection, portant la cicatrice de ses blessures, ni de le toucher ; mais on le verra dans cette lumière ineffable dont il illumine tout homme venant en ce inonde, et dont il brille dans les ténèbres, mais dans les ténèbres qui ne le comprennent point[5]. C’est là qu’il nous précède, quoi qu’en venant à nous il n’en soit point sorti, comme en nous précédant il ne nous abandonne pas. Cette révélation, véritable Galilée, s’opérera quand nous lui serons semblables et que nous le verrons comme il est en. lui-même[6]. Ce sera aussi notre transmigration de ce monde à l’éternité ; elle sera heureuse si nous nous dévouons à

  1. 1Co. 15, 4-8
  2. Mat. 31, 32 ; 28, 7 ; Mrc. 14, 28 ; 16, 7
  3. Phi. 2, 6-7
  4. Jn. 14, 21
  5. Id. 1, 9,5
  6. 1Jn. 3, 2