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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/276

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bienveillance, de concorde et d’arrangement je ne vois pas cependant comment l’homme pourrait nous livrer au juge, quand je sais que le Christ est ce juge, « devant le tribunal duquel, dit l’Apôtre, nous devons tous comparaître[1]. » Or comment celui qui doit comparaître avec nous devant le juge, pourrait-il nous livrer au juge ? Que si on est livré au juge pour avoir fait tort à un homme, bien que ce ne soit pas par l’offensé lui-même, il serait bien plus naturel de dire que le coupable est livré au juge par la loi elle-même, contre laquelle il a agi en offensant un homme. En effet si un homme en tue un autre, il ne sera plus temps de s’arranger avec celui-ci, puisqu’on n’est plus en chemin avec lui, c’est-à-dire dans cette vie ; et pourtant il pourra encore être guéri en se repentant, en recourant, avec le sacrifice d’un cœur brisé de douleur, à la miséricorde de Celui qui remet les péchés à ceux qui se convertissent à lui et qui a plus de joie pour un pécheur faisant pénitence que pour quatre-vingt-dix justes[2]. Je vois encore bien moins comment on nous ordonnerait d’être bienveillants pour la chair ou de nous accorder avec elle. Car ce sont surtout les pécheurs qui aiment leur chair, s’accordent avec elle et cèdent à ses volontés ; ceux au contraire qui la réduisent en servitude, bien loin de lui céder, la forcent à obéir.

32. Peut-être est-ce avec Dieu qu’on nous ordonne de nous accorder, en nous réconciliant avec lui, dont nous nous sommes éloignés par le péché au point qu’on peut dire qu’il est notre adversaire. En effet on peut appeler adversaire celui qui résiste : « Or Dieu résiste aux orgueilleux et accorde sa grâce aux humbles[3] ; — l’orgueil est le commencement de tout péché ; mais se séparer de Dieu est le principe de l’orgueil de l’homme[4] » et l’Apôtre dit : « Car si quand nous étions ennemis de Dieu nous avons été réconciliés avec lui par la mort de son Fils ; à plus forte raison, réconciliés, serons-nous sauvés par sa vie[5]. » D’où l’on peut conclure qu’il n’y a pas de nature mauvaise qui soit ennemie de Dieu, puisque ceux qui ont été ses ennemis, sont réconciliés avec lui. Donc quiconque, étant encore en chemin, c’est-à-dire en cette vie, n’aura pas été réconcilié avec Dieu par la mort de son Fils, sera livré par lui au juge : « Car le Père ne juge personne, mais il a remis tout jugement au Fils. » Après cela vient tout ce qui est écrit dans le chapitre et que nous avons déjà exposé. Une seule chose pourrait contrarier notre interprétation : comment peut-on dire raisonnablement que nous sommes en chemin avec Dieu, s’il faut voir en lui l’adversaire avec lequel on nous ordonne de nous réconcilier au plus tôt ? À moins qu’on ne réponde que Dieu étant partout, nous sommes certainement avec lui. « Car, nous dit le Psalmiste, si je monte vers les cieux, vous y êtes ; si je descends aux enfers, vous êtes encore ; si je prends des ailes pour diriger mon vol, si je vais habiter à l’extrémité des mers, c’est votre main qui m’y conduit, c’est votre droite qui m’y soutient[6]. » Que s’il répugne de dire que les impies soient avec Dieu, bien que Dieu soit partout et que nous ne disions pas que les aveugles soient avec la lumière, bien que la lumière environne leurs yeux, il nous restera à dire qu’ici l’adversaire c’est le commandement de Dieu. En effet qui résiste à ceux qui veulent pécher, comme le commandement de Dieu, c’est-à-dire sa loi et la divine Écriture, qui nous a été donnée pour compagne dans cette vie, avec laquelle nous sommes en chemin, que nous ne devons point contredire, avec laquelle, au contraire, il faut nous hâter de nous mettre d’accord, de peur qu’elle ne nous livre au Juge ? Car personne ne sait quand il sortira de cette vie. Or, qui est-ce qui se met d’accord avec la divine Écriture, sinon celui qui la lit ou l’écoute avec piété, lui défère la souveraine autorité, de manière à ne point repousser ce qu’il ne comprend pas, bien qu’il y voie la condamnation de ses péchés, mais qui accepte volontiers le reproche et se réjouit de voir qu’on ne ménage point ses maladies tant qu’elles ne sont pas guéries ; puis, dans les passages qui lui semblent obscurs ou malsonnants, ne soulève point de contradictions ni de débats, mais en demande l’intelligence, tout en conservant une soumission pleine de bonne volonté et de respect à une si grande autorité ? Or qui se conduit ainsi, sinon celui qui vient avec douceur et piété, et non avec aigreur et menace, ouvrir le testament de son Père et en prendre connaissance ? Donc bienheureux ceux qui sont doux, « parce qu’ils posséderont la terre en héritage. » Voyons la suite.

  1. 2 Cor. 10, 10
  2. Lc. 15, 7
  3. Jac. 4, 6
  4. Sir. 10, 13-14
  5. Rom. 5, 10
  6. Ps. 138, 8-10