Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Évidemment le Seigneur n’a pas dit : cherchez d’abord le royaume de Dieu et cherchez ceci ensuite ; mais : « tontes ces choses vous seront données par surcroît. » Mais je ne vois donc pas comment on peut dire que quelqu’un ne cherche pas ce qu’il demande à Dieu avec la plus grande attention.
26. Quant au sacrement du corps du Seigneur pour ne pas soulever d’objection de la part des nombreux orientaux qui ne participent point chaque jour à la cène du Seigneur, bien qu’on l’appelle pain quotidien ; pour qu’ils gardent le silence, dis-je, et ne défendent pas leur opinion en s’appuyant sur l’autorité ecclésiastique, sous prétexte qu’ils font cela sans scandale, que les chefs des églises ne s’y opposent pas, et qu’on ne les taxe point de désobéissance, ce qui prouve que, dans ces contrées, ce n’est pas là le sens qu’on attache aux mots pain quotidien : autrement ceux qui ne le reçoivent pas tous les jours seraient regardés comme grandement coupables : pour ne pas discuter là-dessus, disons au moins que quiconque réfléchit doit voir clairement que le Seigneur nous a donné une forme de prière à laquelle nous ne pouvons, sans transgression, rien ajouter ni rien ôter. Cela étant, qui osera soutenir que nous ne devons réciter qu’une fois l’oraison dominicale ; ou que si nous devons la réciter deux ou trois fois, ce ne peut être que jusqu’à l’heure où nous participons au corps du Seigneur, et non pendant le reste du jour ? Car alors nous ne pourrions plus dire « donnez-nous aujourd’hui » ce que nous aurions déjà reçu, ou bien on pourrait nous obliger à recevoir ce sacrement vers la fin du jour.
27. Il ne nous reste donc plus qu’à entendre par pain quotidien la nourriture spirituelle, à savoir les préceptes divins, que nous devons méditer et accomplir tous les jours. Le Seigneur y fait allusion quand il dit : « Travaillez en vue de la nourriture qui ne périt pas. » Or cette nourriture s’appelle quotidienne maintenant, tant que cette vie mortelle se prolongera par la succession des nuits et des jours. En réalité tant que les affections de l’âme se portent. tour à tour en haut et en bas, c’est-à-dire tantôt aux choses spirituelles, tantôt aux inclinations charnelles ; comme un être qui est alternativement rassasié et pressé par la faim, elle a besoin d’un pain quotidien pour calmer la faim et restaurer ses forces abattues. Ainsi comme notre corps, tant qu’il est en cette vie, c’est-à-dire avant sa transformation, répare, par la nourriture, les forces qu’il a dépensées ; de même notre âme, souffrant une déperdition par les affections temporelles qui l’éloignent de Dieu, a besoin de se refaire par la nourriture des commandements. Or on dit : « Donnez-nous aujourd’hui » pendant tout le temps qu’on peut dire aujourd’hui, c’est-à-dire durant cette vie mortelle. Car après cette vie, la nourriture spirituelle nous rassasiera tellement pendant l’éternité, qu’on ne pourrait plus dire pain de chaque jour, vu que là, la mobilité du temps, qui fait succéder les jours aux jours et permet de dire chaque jour » n’existera plus. Il faut donc entendre ici ces mots : « Donnez-nous aujourd’hui » comme ces paroles du psaume : « Aujourd’hui si vous entendez sa voix[1] » qui, selon l’interprétation de l’Apôtre dans son épître aux Hébreux, signifient : « Pendant ce qui est appelé aujourd’hui[2]. » Cependant, si quelqu’un veut entendre cette demande de la nourriture nécessaire au corps, ou du Sacrement du corps du Seigneur, il faudra qu’il admette en même temps les trois sens : c’est-à-dire que nous demandons en même temps notre pain quotidien, ce qui est nécessaire à notre corps et le sacrement visible et invisible du Verbe de Dieu.

CHAPITRE VIII. RÉMISSION DES PÉCHÉS. – PARDON DES INJURES.


28. Vient ensuite la cinquième demande Et remettez-nous nos dettes, comme nous remettons à ceux qui nous doivent. » Il est clair que dettes ici signifie péchés. On le voit parce que le Seigneur dit lui-même.« Vous ne sortirez point de là que vous n’ayez payé jusqu’au dernier quart d’un as[3] » ou encore parce qu’il appelle débiteurs ceux dont on lui annonce la mort sous les ruines de la tour et ceux dont Hérode a mêlé le sang à leur sacrifice. Il dit en effet qu’on les croit plus débiteurs, c’est-à-dire plus pécheurs, que tous les autres, et il ajoute : « En vérité, je vous le dis : Si vous ne faites pénitence, vous périrez tous de la même manière[4]. » Ce n’est donc point ici un ordre de remettre à des débiteurs une dette d’argent, mais de pardonner à celui qui nous a offensés. Le commandement de remettre une dette pécuniaire se rattacherait plutôt à ce qui a

  1. Ps. 94, 8
  2. Héb. 3, 3
  3. Mt. 5, 26
  4. Lc. 13, 1-5