Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


ces trois objets subsisteront, parfaits et réunis, dans la vie qui nous est promise.

37. Quant aux quatre autres demandes, elles me semblent se rapporter à la vie du temps. La première est : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien. » Par le fait même qu’on dit pain quotidien, que ce soit la nourriture spirituelle, ou la subsistance matérielle, cela concerne le temps, que le Sauveur appelle aujourd’hui. » Non que la nourriture spirituelle ne soit pas éternelle ; mais celle qu’on nomme ici quotidienne, se donne à l’âme ou par les Écritures ou par la parole ou par d’autres signes sensibles : toutes choses qui n’existeront plus quand tous seront instruits de Dieu[1], et participeront, non plus par le mouvement du corps, mais par le pur intellect, à l’ineffable lumière de la vérité puisée à sa source. Et peut-être emploie-t-on le mot de pain et non de boisson, parce que le pain se brise, se mâche et s’assimile comme aliment, de même que les Écritures s’ouvrent et se méditent pour nourrir l’âme ; tandis que le breuvage préparé d’avance, passe dans le corps en conservant sa nature ; en sorte que la vérité soit ici-bas le pain qu’on appelle quotidien, mais que, dans l’autre vie ; il n’y ait plus qu’un breuvage, puisé dans la vérité pure et visible, sans discussion pénible, sans bruit de paroles, sans qu’il soit besoin de briser et de mâcher. C’est ici-bas que nos offenses nous sont remises et que nous remettons celles qu’on nous a faites ; ce qui est l’objet de la seconde des quatre dernières demandes ; car dans l’autre monde il n’y a plus de pardon à demander, parce qu’il n’y a plus d’offenses. Les tentations tourmentent aussi cette vie passagère ; mais il n’y en aura plus, quand cette parole sera accomplie : « Vous les cacherez dans le secret de votre face[2]. » Enfin le mal dont nous demandons à être délivrés et cette délivrance même, sont encore le partage de cette vie, que la divine justice a rendue mortelle par notre faute, et dont sa miséricorde nous délivre.


CHAPITRE XI.

LES SEPT DONS DU SAINT-ESPRIT, LES SEPT DEMANDES DU PATER, ET LES SEPT BÉATITUDES.

38. Le nombre sept, que nous retrouvons dans ces demandes, me parait aussi concorder avec le nombre sept, par où a commencé tout ce sermon. Si en effet c’est la crainte de Dieu qui rend heureux les pauvres d’esprit, parce que le royaume des cieux est à eux ; demandons que le nom de Dieu soit sanctifié dans les hommes, par la chaste crainte qui subsiste dans les siècles des siècles[3]. Si c’est la piété qui rend heureux ceux qui ont le cœur doux, parce qu’ils posséderont la terre en héritage ; demandons que le règne de Dieu arrive, soit en nous-mêmes pour que nous devenions doux et ne résistions plus à sa voix, soit du ciel en terre par le glorieux avènement du Seigneur, alors que nous nous réjouirons et nous féliciterons, quand il dira : « Venez, bénis de mon Père, prenez possession du royaume préparé pour vous depuis le commencement du monde[4]. – Mon âme, dit le prophète, se glorifiera dans le Seigneur ; que ceux qui ont le cœur doux m’entendent et partagent mon allégresse[5]. » Si c’est la science qui rend heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés ; demandons que la volonté de Dieu se fasse sur la terre comme au ciel, parce qu’une fois que le corps comme terre sera soumis à l’esprit comme ciel, dans une paix pleine et parfaite, nous ne pleurerons plus ; car la seule raison pour laquelle nous pleurons ici-bas, c’est ce combat intérieur qui nous force à dire : « Je vois dans mes membres une autre loi qui combat la loi de mon esprit » puis à exprimer notre tristesse par ce cri lamentable : « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort[6] ? » Si c’est la force qui rend heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés ; prions pour qu’on nous donne aujourd’hui notre pain quotidien, qui nous soutienne et nous fortifie, afin de pouvoir parvenir au parfait rassasiement. Si c’est le conseil qui rend heureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde ; remettons toute dette à nos débiteurs et prions pour que les nôtres nous soient remises. Si c’est l’entendement qui rend heureux ceux qui ont le cœur pur, parce qu’ils verront Dieu ; prions pour n’être point induits aux tentations, de peur d’avoir le cœur double en poursuivant les biens temporels et terrestres, au lieu de ne rechercher que le bien simple et de lui rapporter toutes nos actions. En effet les tentations, provenant de ce qui semble aux hommes pénibles et désastreux, n’ont de prise sur nous qu’autant qu’en ont les choses qui

  1. Isa. 54, 13 ; Jn. 6, 46
  2. Psa. 30, 21
  3. Psa. 18, 10
  4. Mat. 25, 34
  5. Psa. 33, 2
  6. Rom. 7, 23, 24