Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/313

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et moi je n’en retirerai rien, parce que je n’aime pas l’Évangile même, mais les avantages temporels qui en font le prix à mes yeux. Et c’est un crime de ne pas annoncer l’Évangile comme un fils, mais comme un esclave qui dispense ce qui lui est confié ; de le répandre comme un bien étranger, sans en retirer autre chose que des aliments qui n’ont rien de commun avec le royaume de Dieu, mais sont purement extérieurs et destinés à prolonger un misérable esclavage. Ce n’est pas que l’Apôtre ne se donne ailleurs le nom de dispensateur. En effet, un serviteur élevé à la dignité de fils adoptif, peut parfaitement dispenser à ses semblables ce qu’il a reçu en qualité de cohéritier. Mais en disant : « Si je ne le fais qu’à regret, je dispense seulement ce qui m’a été confié » l’Apôtre désigne cette espèce de dispensateur qui se contente de distribuer le bien d’autrui sans en rien retirer lui-même.
55. Donc tout objet recherché en vue d’un autre objet est incontestablement au dessous de celui-ci ; par conséquent la supériorité appartient à l’objet qu’on a en vue, et non à celui par lequel on cherche à atteindre le but. Donc, si nous cherchons l’Évangile et le royaume de Dieu en vue de la nourriture, nous donnons à celle-ci la prééminence sur ceux-là, en sorte que si la nourriture ne nous fait pas défaut, nous laisserons de côté le royaume de Dieu : c’est là chercher premièrement la nourriture et ensuite le royaume de Dieu, c’est-à-dire donner à celle-là la priorité sur celui-ci. Si au contraire nous ne cherchons notre nourriture qu’en vue d’obtenir le royaume de Dieu, nous remplissons le précepte : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par surcroît. »

CHAPITRE XVII. À CEUX QUI CHERCHENT LE ROYAUME DE DIEU RIEN NE MANQUE.


56. En effet quand nous cherchons premièrement le royaume de Dieu et sa justice, c’est-à-dire quand nous les mettons au dessus de tout le reste au point de ne chercher dans tout le reste qu’un moyen de les obtenir, alors nous ne devons pas craindre de manquer de ce qui est nécessaire en cette vie pour parvenir au royaume de Dieu. Car plus haut le Seigneur a dit : « Votre Père sait que vous en avez besoin. » Aussi, après avoir dit : « Cherchez premièrement le royaume de Dieu et sa justice » il n’ajoute point : cherchez ensuite ces choses ; bien qu’elles soient nécessaires ; mais il dit : « Et toutes ces choses vous seront données par surcroît » c’est-à-dire vous arriveront, si vous les cherchez sans, vous en mettre en peine ; pourvu qu’en les cherchant, vous ne vous détourniez point du but ; que vous ne vous proposiez point deux fins, d’abord le royaume de Dieu pour lui-même et ensuite ces choses nécessaires, mais que vous cherchiez celles-ci en vue de celui-là : dans ce cas, elles ne vous feront point défaut. La raison en est que vous ne pouvez servir deux maîtres. Or c’est servir deux maîtres que de chercher le royaume de Dieu comme un grand bien, puis ces objets temporels. On ne peut avoir l’œil simple, ni servir Dieu comme seul maître, si on ne rapporte tout le reste, même le nécessaire, à ce but unique, c’est-à-dire au royaume de Dieu. Mais comme tout soldat reçoit une ration et une solde, ainsi tous ceux qui évangélisent reçoivent la nourriture et le vêtement. Seulement tous les soldats ne se battent pas pour le salut de la république ; il en est qui ont en vue leur salaire. Ainsi tous les ministres de Dieu ne se proposent par le salut de l’Église : il en est qui cherchent les avantages temporels, comme qui dirait leur ration et leur solde ; ou même se proposent les deux buts à la fois. Mais on l’a dit plus haut : « Vous ne pouvez pas servir deux maîtres. » Nous devons donc faire du bien à tous avec un cœur simple, seulement en vue du royaume de Dieu, et non pour nous procurer des avantages temporels soit uniquement, soit conjointement avec le royaume de Dieu : avantages que le Seigneur renferme sous le nom de lendemain, quand il nous dit : « Ne soyez point inquiets du lendemain. » Car ce mot n’a d’application que dans le temps, où l’avenir succède au passé. Par conséquent, quand nous faisons quelque chose de bien ; ne songeons point aux choses du temps, mais à celles de l’éternité ; alors l’œuvre sera bonne et parfaite. « En effet, continue le Seigneur, le jour de demain sera inquiet pour lui-même » c’est-à-dire prenez votre nourriture, votre boisson, votre vêtement quand il faudra, quand la nécessité s’en fera sentir. Car tout se trouvera là, puisque notre Père sait que nous en avons besoin. « A chaque jour, dit le Seigneur, suffit son mal » c’est-à-dire il suffit que la nécessité vous force à user de ces choses. Quant