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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/363

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moissonneurs. » D’où il suit que le soin de ramasser l’ivraie pour la brûler dans le feu constitue une mission à part et que nul enfant de l’Église ne doit s’estimer appelé à la remplir.
2. Lorsque l’homme devient spirituel, il découvre donc les erreurs des hérétiques, les juge à fond et distingue, en les entendant ou en les lisant, ce qui s’éloigne de ta règle de la vérité mais tant qu’il n’est pas arrivé à la perfection de la vie spirituelle, tant que l’herbe en quelque sorte n’a pas donné son fruit, il peut se demander avec surprise pourquoi le nom de chrétien couvre tant de faussetés hérétiques C’est pourquoi les serviteurs disent au maître : « N’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il y a de l’ivraie ? » Puis, quand il connaîtra que le démon est l’auteur de cette supercherie, parce qu’il savait toute son impuissance contre l’autorité attachée au nom chrétien, et la nécessité par conséquent pour lui de cacher ses ruses sous le..voilede ce nom auguste, la pensée pourra lui venir d’exterminer de tels hommes, s’il en a le, pouvoir ; mais en a-t-il le droit ? Il demande à la justice de Dieu si elle lui en fait un ordre, ou si elle le lui permet, et si telle est sa volonté, que les hommes remplissent cette mission : de là cette question des serviteurs : « Voulez-vous que.nousallions arracher l’ivraie ? » Or, la Vérité même leur répond que l’homme n’est pas dans une condition telle en cette vie, qu’on puisse savoir avec certitude ce que sera dans la suite celui dont nous voyons présentement l’erreur, ni le profit que son erreur peut apporter aux bons ; qu’il ne faut pas les arracher de cette vie de peur qu’en s’efforçant d’exterminer les méchants, on n’extermine les bons, parce qu’ils le seront peut-être un jour ; ou de peur qu’on ne nuise aux bons, à qui peut-être ils sont utiles malgré eux. Un temps viendra où cela se fera d’une manière opportune : c’est lorsqu’il ne leur restera plus un moment pour changer de vie, ou que l’occasion et le contraste de leurs erreurs ne serviront plus pour amener à la vérité ; et alors ce n’est pas les hommes, mais les Anges qui recevront l’ordre d’agir. De là vient que le père de famille fait cette réponse : « Non, de peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le bon grain : mais au temps de la moisson, je dirai aux moissonneurs » etc. C’est ainsi que Dieu leur inspire une patience et une tranquillité parfaites.
3. À propos de ces paroles du Sauveur :« Liez-la en bottes pour la brûler » on peut demander pour quel motif l’ivraie ne sera pas réunie en une seule botte, en un seul monceau. Comme l’hérésie est sujette aux variations, et que les hérétiques non seulement différent du froment, mais encore sont divisés entre eux : peut-être Jésus-Christ a-t-il voulu désigner par là les assemblées propres à chaque espèce d’hérésie, où chaque membre est en désaccord avec sa proprecommunion.D'après cette interprétation, les hérétiques commenceraient à être liés en gerbes, du moment qu’ils se séparent de la communion catholique pour se créer des Églises particulières ; et ce n’est qu’à la fin du monde qu’ils seraient livrés aux flammes en cet état. Mais s’il en était ainsi, il serait petit le nombre des Églises qui viendraient à résipiscence, et sortiraient de l’erreur pour rentrer dans le sein de l’Église catholique. C’est pourquoi l’ivraie ne sera liée en gerbes qu’à la fin des temps, afin que l’opiniâtreté de chaque erreur soit punie, non pas d’une manière confuse et générale, mais suivant le caractère propre de sa perversité.


4. « De peur qu’en arrachant l’ivraie, vous ne déraciniez en même temps le bon grain. » Notre-Seigneur tient-il ce langage, parce que les bons eux-mêmes, quand ils sont encore faibles, ont besoin pour plusieurs motifs d’être mêlés aux méchants, soit afin d’être exercés par eux, soit afin de trouver dans leur contraste une puissante exhortation à une vie meilleure ; tandis que si les méchants disparaissaient, la charité des bons serait comme une plante flétrie et desséchée, et se déracinerait ? Voici en effet ce que dit l’Apôtre : « Afin qu’étant enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre[1]. » Ou bien le bon grain est-il déraciné quand on arrache l’ivraie, parce que plusieurs, qui étaient d’abord de la zizanie, deviennent ensuite du froment ? Si on ne les supporte pas avec patience, quand ils sont mauvais, ils ne parviendront pas à un changement sérieux : c’est ainsi qu’en les arrachant, on arrache en même temps le bon grain, qu’ils auraient été, si on les avait épargnés.
XIII. La perle précieuse[2]. – Le royaume des cieux est semblable à un marchand qui cherche de belles perles, et qui en ayant trouvé une de grand prix, va vendre tout ce qu’il a,

  1. Eph. 3, 17-18
  2. Mt. 13, 45-46