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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/401

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c’était afin d’amener les hommes à croire qu’il délivrait les âmes par la rémission des péchés ; en d’autres termes, il voulait par sa puissance visible inspirer la foi à sa puissance invisible. Il accomplissait donc par le Saint-Esprit toutes ces œuvres, dans le but d’accorder aux hommes la grâce et la paix : la grâce par la rémission de leurs péchés ; la paix par leur réconciliation avec Dieu[1], dont nos péchés seuls nous séparent. Mais les Juifs ayant dit alors qu’il chassait les démons par Béelzébuth, il voulut miséricordieusement les avertir de ne pas dire une parole, de ne pas prononcer un blasphème contre le Saint-Esprit[2], c’est-à-dire de ne pas résister à la grâce et à la paix de Dieu, que le Seigneur était venu donner par le Saint-Esprit. Non pas qu’ils eussent déjà commis des péchés qui ne pouvaient leur être pardonnés ni en ce monde ni en l’autre ; mais le Seigneur ne voulait pas que, désespérant d’obtenir leur pardon, ou présumant trop peut-être de leur propre justice, et par là même ne faisant point pénitence ou persévérant dans leurs péchés, ils ne se rendissent coupables de cette sorte de péché : car ils auraient dit une parole, c’est-à-dire un blasphème contre le Saint-Esprit ; par lequel le Sauveur accomplissait ces prodiges destinés à préparer l’effusion de la grâce et de la paix, si par leur persévérance dans le péché ils avaient résisté à cette grâce même et à cette paix. Aussi l’expression : dire une parole, ne semble pas devoir être ici entendue seulement de cette parole que produit notre langue, mais aussi de celle qui est d’abord conçue dans notre cœur, puis exprimée dans nos œuvres. En effet ; de même que ceux-là ne confessent pas Dieu ils le confessent seulement par le mouvement de leurs lèvres, et non point par leurs bonnes œuvres, car l’Apôtre dit de ces hommes. « Ils confessent qu’ils connaissent Dieu, mais ils le nient par leurs œuvres[3] » d’où on doit conclure que l’on peut évidemment dire une chose par des actions, comme il est ici manifeste qu’on peut la nier par ces mêmes actions : ainsi cette parole de l’Apôtre « Personne ne dit : Seigneur Jésus, si ce n’est par le Saint-Esprit[4] » ne peut être entendue dans son sens véritable, si on ne l’entend du langage des actions. Car il ne faut pas croire qu’ils prononçaient ces paroles par le Saint-Esprit, ceux à qui Notre-Seigneur disait lui-même : « Pourquoi me dites-vous, Seigneur, Seigneur, tandis que vous ne faites pas les choses que je vous commande[5] ? » et ailleurs : « Ceux qui me disent Seigneur, Seigneur, n’entreront pas dans le royaume des cieux[6]. » À l’exemple donc de ces confesseurs et de ces adorateurs hypocrites, ceux qui disent contre le Saint-Esprit cette parole que Notre-Seigneur veut nous montrer comme irrémissible, c’est-à-dire ceux qui désespérant de recevoir la grâce et la paix qu’il accorde gratuitement, se disent à eux-mêmes qu’ils doivent persévérer dans leurs péchés, doivent être regardés comme disant cette parole par leurs actions. Et si les premiers renient Notre-Seigneur par leurs œuvres, ceux-ci disent également par leurs œuvres qu’ils persévèrent dans leur vie mauvaise et dans leurs mœurs dépravées, et ils le font en effet, c’est-à-dire qu’ils y persévèrent. Et puisque telle est réellement leur conduite, qui pourra désormais apprendre avec surprise ou même sans le comprendre parfaitement, que d’une part Notre-Seigneur Jésus-Christ appelait les Juifs à la pénitence par cette menace, afin de pouvoir, lorsqu’ils croiraient en lui, leur accorder la grâce et la paix ; et que d’autre part, les Juifs ayant résisté à cette grâce et à cette paix et par là-même ayant dit une parole et un blasphème contre le Saint-Esprit, c’est-à-dire ayant persévéré dans leurs péchés par une opiniâtreté d’esprit désespérée et impie, et s’étant élevés avec orgueil contre Dieu, au lieu de faire une confession et une pénitence pleine d’humilité, ils ne puissent obtenir leur pardon ni dans le siècle présent ni dans le siècle à venir ? Si donc il en est ainsi, nous avons, à propos de la grâce et de la paix que nous recevons de Dieu le Père et de Notre-Seigneur Jésus-Christ, résolu avec le secours du ciel une question dont les difficultés égalent l’importance. Quant à ceux qui désirent encore avoir sur ce grave sujet des réflexions et un traité plus étendus, nous leur dirons que l’étude de l’Évangile et les paroles des Évangélistes peuvent les satisfaire, mais qu’ils se souviennent aussi que pour le moment nous avons entrepris une étude sur l’Épître de saint Paul aux Romains ; Épître dont nous continuerons, s’il plaît à Dieu, d’étudier la suite dans les livres suivants, après avoir enfin terminé ici le premier.

  1. 2 Rét. ch. 25
  2. Mt. 12,22-33
  3. Tit. 1, 16
  4. 1 Cor. 12, 3
  5. Lc. 6, 46
  6. Mt. 7, 21