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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/413

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fois et maudite et vaincue. Si l’on disait également : Le poché est maudit, nul ne s’en étonnerait. Or, n’est-ce pas le péché du vieil homme qui a été également attaché à la croix, quand pour l’amour de nous le Seigneur s’en est chargé dans sa chair mortelle ? Aussi l’Apôtre n’a-t-il pas rougi de dire que pour nous Dieu l’a fait péché, « afin, ajoute-t-il, de condamner le péché par le péché même[1]. » Car notre vieil homme n’aurait pas été crucifié alors, comme s’exprime ailleurs le même Apôtre, si cette mort du Sauveur ne nous montrait crucifiée la ressemblance de notre chair de péché, afin que ce corps de péché soit détruit, et que nous ne soyons plus désormais esclaves du péché[2]. C’était pour figurer ce péché et cette mort que déjà Moïse éleva au désert le serpent d’airain sur une espèce de gibet[3]. Voici pourquoi : c’est à la persuasion du serpent que l’homme est tombé et a été condamné à mort. Ne convenait-il donc pas que pour figurer cette condamnation à mort le serpent même fût attaché et élevé sur l’instrument du supplice ? C’était un symbole expressif de la mort du Seigneur sur la croix. Or qui frémirait encore si on disait : Maudit le serpent suspendu au gibet ? Il est bien vrai pourtant que ce serpent était l’emblème de la mort corporelle du Seigneur, et le Seigneur lui-même a expliqué ainsi ce symbole mystérieux. « De même, a-t-il dit, que Moïse a élevé le serpent dans le désert, ainsi doit être élevé le Fils de l’homme sur la terre[4]. » Nul, ne dira que c’était dans l’intention d’outrager le Seigneur que Moïse fit élever ce serpent ; il savait que de la croix devait découler si abondamment le salut des hommes, que pour en mieux donner l’idée il fit dresser sur le gibet un serpent dont la vue devait guérir aussitôt quiconque allait mourir après avoir été blessé par des serpents réels. Si de plus ce serpent mystérieux était d’airain, c’était pour désigner la foi durable à la passion du Sauveur ; attendu que le peuple même dit fait d’airain ce qui subsiste longtemps. Ah ! Si les hommes oubliaient, si la mémoire des siècles ne rappelait plus que le Christ est mort pour le salut des hommes, ceux-ci mourraient véritablement ; mais aujourd’hui la foi en sa passion est comme une foi d’airain, et quoique sur la terre les uns meurent pour faire place aux autres, tous peuvent contempler au-dessus d’eux cette grande croix dont la vue rend la santé. Est-il donc étonnant que le Sauveur ait triomphe de la malédiction même, comme il a triomphé de la mort par la mort, du péché par le péché et du serpent par le serpent ? La mort est maudite, le péché est maudit, maudit est le serpent : tout cela a été vaincu sur la croix. « Maudit » donc aussi « quiconque est pendu au bois. » Donc également, comme ce n’est point par les œuvres de la Loi mais par la foi que le Christ justifie ceux qui croient en lui, c’en est fait de la crainte de la malédiction jetée sur la croix ; et ce qui reste aux gentils, c’est l’amour des bénédictions répandues sur Abraham pour le récompenser de ses grands exemples de foi. Afin, continue l’Apôtre, que nous recevions, « par la foi l’Évangile de l’Esprit ; » en d’autres termes, afin qu’on annonce aux croyants, non ce que redoute la chair, mais ce qu’aime l’esprit.
23. Abraham et les anciens patriarches justifiés par la foi et non par les œuvres de la Loi[5]. – Pour le même motif encore il parle des testaments humains, dont la force obligatoire est bien inférieure a celle du Testament divin. « Toutefois, dit saint Paul, quand le testament d’un homme est ratifié, nul ne le rejette ou n’y ajoute. » Si le testateur change son testament, c’est que ce testament n’est point ratifié, il ne l’est que par la mort. Or, de même que c’est la mort du testateur qui ratifie son testament, attendu qu’il ne peut plus alors en changer les dispositions ; ainsi c’est l’immutabilité des promesses divines qui assure l’héritage légué à Abraham, à Abraham à qui sa foi fut imputée à justice[6]. Aussi l’Apôtre enseigne-t-il que le rejeton d’Abraham « à qui s’adressaient les promesses » n’est autre que le Christ, autrement tous les chrétiens qui imitent la foi d’Abraham. Il n’est pas dit, remarque-t-il : « A ceux qui naîtront, mais à Celui qui naîtra de toi » et le singulier est ici employé parce que la foi est une, et que la justification ne saurait être la même pour ceux qui mènent une vie charnelle avec les œuvres de la Loi et pour ceux dont la vie est spirituelle parce que c’est une vie de foi. Ce qui est péremptoire pour l’Apôtre, c’est que la Loi n’était pas donnée encore, et que n’étant promulguée que si longtemps après, elle ne pouvait annuler les antiques promesses faites à Abraham. Effectivement, si c’est la Loi qui justifie, Abraham n’a pas été justifié, puisqu’il a vécu

  1. Rom. 8, 3
  2. Id. 6, 6
  3. Nb. 21, 9
  4. Jn. 3, 14
  5. Gal. 3, 15-18
  6. Rom. 4, 9