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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome V.djvu/437

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bêtes. Car les bêtes sont privées de la raison, qui est le caractère propre de l’intelligence.

VIII. L’âme se meut-elle par elle-même ? — Quiconque sent en lui une volonté, sent que son âme se meut par elle-même. En effet, quand nous voulons, ce n’est pas un autre qui veut pour nous. Et ce mouvement de l’àme est spontané, car c’est Dieu qui le lui a donné ; mais il n’est pas le passage d’un lieu à un autre, comme pour le corps. Le mouvement local appartient en effet au corps. Et quand, par la volonté, c’est-à-dire par un mouvement qui n’est pas local, l’âme meut cependant son corps localement, ce n’est point une preuve qu’elle subisse elle-même un mouvement local. Ainsi nous voyons un objet se mouvoir sur un gond à travers un grand espace, bien que le gond lui-même reste immobile.

IX. — La vérité peut-elle être perçue par les sens corporels ? —Tout ce qui tombe sous le sens corporel et qu’on appelle sensible, éprouve un changement incessant[1]. C’est ainsi que quand les cheveux de notre tète croissent, quand notre corps décline vers la vieillesse ou revèt les charmes de la jeunesse, le mouvement est continuel et ne subit aucune relâche. Or ce qui n’est pas permanent, ne peut être perçu : car il n’y a de perceptible que ce que la connaissance saisit. Mais, ce qui change continuellement ne saurait être saisi. Il ne faut donc point attendre de perception pure et vraie de la part des sens corporels. Qu’on ne nous dise pas qu’il y a des objets sensibles qui subsistent toujours de la même manière ; qu’on ne nous parle pas du soleil et des étoiles, sur lesquel il est difficile d’établir une certitude ; au moins il n’est personne qui ne soit forcé de convenir qu’il n’est pas un objet sensible qui n’ait une fausse ressemblance, telle que la différence ne puisse être saisie. Ainsi, pour ne pas citer d’autres exemples, nous éprouvons en imagination, dans le sommeil ou dans la folie, des sensations semblables à celles que nous recevons par le corps, bien que les objets ne soient pas présents aux sens ; et dans ce cas, nous ne pouvons absolument pas discerner si ces sensations sont réelles ou imaginaires. Donc s’il y a de fausses images des choses sensibles, que les sens eux-mêmes ne peuvent discerner, et si d’autre part, on ne peut percevoir que ce qui est discerné du faux, il s’ensuit que le critérium de la vérité ne réside pas dans les sens. Voilà pourquoi on a de justes raisons de nous engager à nous détourner de ce monde, qui est tout corporel et tout sensible, pour nous porter de toute l’ardeur de notre âme vers Dieu, c’est-à-dire vers la vérité, qui est saisie par l’intellect et le sens intérieur, dure toujours, conserve le même mode d’être et n’a point de fausse ressemblance dont elle ne puisse être discernée.

X. — Le corps vient-il de Dieu ? — Tout bien vient de Dieu ; tout ce qui appartient à une espèce est bon, en tant qu’il est de l’espèce, et tout ce que l’espèce contient est de l’espèce. Or tout corps, pour être corps, est contenu dans quelque espèce. Donc tout corps vient de Dieu.

XI. — Pourquoi le Christ est-il né d’une femme ? — Quand Dieu délivre, il ne délivre pas seulement une partie, mais tout ce qui peut être en péril. Donc la Sagesse et la Vertu de Dieu, que nous appelons son Fils unique, a indiqué, en se faisant homme qu’il venait délivrer l’homme. Or la délivrance de l’homme a dû se manifester dans les deux sexes. Donc, puisqu’il fallait revêtir le sexe masculin qui est le plus honorable, il fallait aussi que la délivrance du sexe féminin apparut par l’incarnation dans le sein d’une femme.

XII. — Opinion d’un sage[2]. — Faites en sorte, ô malheureux mortels, dit-il, faites en sorte que le malin esprit ne souille point ce domicile, qu’il ne s’insinue point dans vos sens pour souiller la pureté de votre âme et obscurcir la lumière de votre esprit. Ce mal s’introduit par toutes les portes des sens : il s’applique aux figures ; s’accommode aux couleurs ; s’attache aux sens ; se cache dans la colère, dans les artifices trompeurs du discours ; se mêle aux odeurs ; s’infuse dans les saveurs ; à l’aide des troubles d’un mouvement impur, il obscurcit les sens par des affections ténébreuses, et remplit de certains brouillards tous les passages de l’intelligence, par où le rayon de l’âme a coutume de répandre la lumière de la raison. Et comme c’est un rayon de la lumière céleste et qu’il est le miroir de la présence divine — car en lui brille la divinité, en lui la volonté innocente, en lui le mérite de la bonne action — Dieu qui est présent partout, l’est en même temps à chacun de nous, quand notre esprit pur et sans tache se croit en sa présence. Et de même que, quand l’œil est vicié, il ne croit point à la présence des objets qu’il ne peut voir-car c’est en vain que l’image des choses se présente à un regard altéré

  1. Rét. l. i, ch. xxvi.
  2. Fontéus de Carthage. Rét. l. i, ch. xxvi.