Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome VI.djvu/316

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louais toi-même, tu n’échapperais pas à tes ennemis. Que dit en effet le Seigneur ? « Le sacrifice de louange est celui qui m’honorera, c’est la voie par laquelle je manifesterai mon salut[1]. » Où est cette voie ? Dans le sacrifice de louange. N’en sors pas d’un pied. Restes-y, ne t’en éloigne pas ; ne t’écarte des louanges de Dieu ni d’un pied ni d’un pouce. Car en cherchant à t’en écarter et à te louer au lieu de louer Dieu, tu ne seras point délivré de tes ennemis ; c’est d’eux effectivement qu’il est écrit : « Près de la voie ils m’ont caché des pièges[2]. » Quel que soit donc le bien que tu t’attribues, tu quittes la voie du salut. Et pourquoi t’étonner d’être séduit par l’ennemi, puisque tu te séduis toi-même ? Prête l’oreille à l’Apôtre : « S’estimer quelque chose, quand on n’est rien, c’est se séduire soi-même[3]. »

7. Considère donc cette confession du Seigneur. « Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre. – Je vous confesse », je vous loue. Je vous loue, je ne m’accuse pas. L’union de l’humanité avec le Verbe n’est-elle pas tout entière une grâce, une grâce incomparable, une grâce parfaite ? Sans la grâce, sans cette grâce unique qui devait faire du Christ une seule personne et la personne que nous connaissons, qu’a mérité cette humanité que nous voyons dans le Christ ? Ôte cette grâce, le Christ sera-t-il autre chose qu’un homme, autre chose que toi ? Il a pris une âme, il a pris un corps, il a pris une humanité entière ; il se l’unit, il fait une même personne du Seigneur et du serviteur. Quelle grâce ! Je vois le Christ au ciel et sur la terre, au ciel et sur la terre en même temps ; et ce ne sont pas deux Christs, mais sur la terre et dans le ciel un seul et même Christ. Le Christ est dans le sein du Père et le Christ est dans le sein de la Vierge ; le Christ est sur la croix ; le Christ est dans les enfers où il porte secours à plusieurs, et le Christ, le même jour, est en paradis avec le larron qui confesse. Comment aussi a mérité ce larron, si ce n’est pour avoir suivi la voie où le Très-Haut manifeste son salut ? Ah ! ne t’en écarte pas d’un pied. N’est-ce pas en s’accusant que le larron a loué Dieu et s’est acquis le bonheur ? Il espérait au Seigneur et lui disait : « Souvenez-vous de moi, Seigneur, lorsque vous serez entré dans votre royaume. » Il envisageait ses iniquités et se serait estimé bienheureux de finir par obtenir son pardon. Mais à ces mots:« Souvenez-vous de moi : » quand ? « quand vous serez entré dans votre royaume ; » le Seigneur répondit sans tarder : « En vérité je te le déclare, aujourd’hui même tu seras avec moi dans le paradis[4]. » Ainsi la miséricorde présentait ce qu’ajournait le malheur.

8. Prête donc l’oreille à cette confession du Seigneur : « Je vous confesse, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre. » Pourquoi vous confesser ? De quoi vous louer ? car il s’agit ici, je l’ai dit déjà, d’une confession de louange. « Parce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez découvertes aux petits. » Que signifie ceci, mes frères ? Comprenez-le par les paroles opposées à celles-ci. « Vous les avez découvertes aux petits », dit le Sauveur, et non pas : vous les avez découvertes aux insensés et aux imprudents. « Vous les avez cachées aux sages et aux prudents, et vous les avez révélées aux petits. » Aux sages et ails prudents ridicules, aux arrogants qui revendiquent une fausse grandeur et qui n’ont que du vent, il oppose, non les insensés ni les imprudents, mais les petits. Quels sont ces petits ? Les humbles. Ainsi « vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents ; » aux sages et aux prudents, c’est-à-dire aux superbes, comme le fait entendre le Seigneur même en ajoutant : « Vous les avez découvertes aux petits. » Vous les avez donc cachées à ceux qui ne sont pas petits. Qu’est-ce à dire ? A ceux qui ne sont pas humbles. Or, qu’est-ce que n’être pas humble, si ce n’est être orgueilleux ? O voie du Seigneur ! Ou elle, n’était point tracée, ou elle était cachée, pour nous être un jour dévoilée. D’où viennent les transports du Sauveur ? De ce qu’elle a été découverte aux petits. Nous devons être petits ; car si nous voulons être grands, nous réputer prudents et sages ; la lumière divine ne nous sera point montrée, Quels sont les grands ? Des sages et des prudents, Mais « en se disant sages ils sont devenus insensés. » Pour trouver le remède, fais le contraire. Si tu es devenu insensé en te disant sage, pour devenir sage, dis-toi insensé. Mais dis-le, dis-le bien, dis-le du fond du cœur, car la réalité est conforme à ta parole. Et en le disant, ne le dis pas seulement devant les hommes et point devant Dieu. Car en ce qui te concerne, en ce qui t’appartient, tu n’es vraiment que ténèbres. Et qu’est-ce qu’être insensé, sinon avoir le cœur

  1. Psa. 49, 23
  2. Psa. 139, 6
  3. Gal. 6, 31
  4. Luc. 23, 42-43