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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/209

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donne sa vie pour ses amis ». Car il n’y a personne d’assez insensé pour dire que le Seigneur ait eu d’autre vue que le salut éternel des hommes soit en faisant ce qu’il a commandé, soit en commandant ce qu’il a fait.

Donc puisqu’en mentant on perd la vie éternelle, il n’est jamais permis de mentir pour sauver la vie temporelle d’un autre. Quant à ceux qui s’irritent, qui s’indignent, si l’on refuse de perdre son âme par un mensonge pour procurer à un autre la prolongation de sa vie charnelle, que diront-ils dans le cas où, parle vol, par l’adultère, nous pourrions également sauver quelqu’un de la mort ? Faudra-t-il voler, ou commettre l’adultère ? Ils ne songent pas que la conséquence forcée de leur doctrine serait que, dans la supposition où quelqu’un, tenant en main une corde, demanderait à une femme le sacrifice de son honneur, sous la menace de se pendre si elle n’acquiesçait pas à sa demande, cette femme serait obligée d’y consentir, pour sauver une âme, suivant l’expression qu’on emploie. Or, si cette conséquence est absurde et criminelle, pourquoi perdrait-on son âme par le mensonge, pour conserver à un autre la vie du corps, puisque livrer son corps au déshonneur, dans ce but, serait un acte honteux et universellement réprouvé ? Il n’y a donc ici qu’un seul point à considérer : Le mensonge est-il une iniquité ? Et ce point étant démontré par les textes cités, demander s’il est permis de mentir pour sauver la vie de son prochain, c’est demander s’il faut commettre l’iniquité pour sauver la vie de son prochain ? Or, si cela est absolument opposé au salut de l’âme, qui ne peut être sauvée que par la justice, et qui veut être préférée, non-seulement à la vie temporelle d’un autre, mais à la nôtre propre : comment pourrait-on hésiter le moins du monde à admettre qu’il ne faut jamais mentir ? Car on ne saurait nier que la santé et la vie du corps soient les plus précieux et les plus chers de tous les biens temporels. Mais si on doit les sacrifier à la vérité, qu’objecteront ceux qui prétendent qu’il est quelquefois permis de mentir ? Quelle supposition feront-ils qui puisse autoriser le mensonge ?

CHAPITRE VII. IL NE FAUT PAS MÊME MENTIR POUR CONSERVER LA CHASTETÉ CORPORELLE. QU’EST-CE QUE LE LIBERTINAGE ?

10. Il s’agit de la chasteté du corps. Une personne très-honorable se présente et demande la permission de mentir, de mentir sans hésitation, dans le cas où un homme veut lui faire violence et lui infliger un déshonneur qu’elle pourrait éviter au moyen d’un mensonge. La réponse est facile : toute pudeur du corps dépend de la pureté de l’âme ; ôtez la pureté de l’âme, celle du corps disparaît, bien qu’elle semble intacte. Aussi ne doit-on pas compter celle-ci parmi les biens temporels, puisqu’on ne peut la perdre malgré soi. L’âme n’aura donc garde de se corrompre par le mensonge, pour sauver la pureté de son corps, qu’elle sait être intacte, tant que la corruption ne provient pas d’elle-même.

En effet, ce que le corps subit par violence et sans les préliminaires de la passion, ne doit point s’appeler corruption, mais violence tyrannique. Ou bien si toute violence est corruption, toute corruption n’est pas coupable, à moins que la passion ne l’ait provoquée ou n’y ait consenti. Or, plus l’âme l’emporte sur le corps, plus il est criminel de la souiller. Le sanctuaire de la pudeur est donc là où la corruption ne peut exister tant qu’elle n’est pas volontaire. Car, si un libertin attaque le corps violemment et qu’on ne puisse l’écarter, ni par la force, ni par le conseil, ni par le mensonge, nous sommes certainement obligés de convenir que la pudeur est hors de l’atteinte d’une passion étrangère. Par conséquent, comme personne ne doute que l’âme l’emporte sur le corps, il faut préférer à la pureté du corps celle de l’âme que l’on peut conserver à jamais. Or, qui oserait dire que l’âme du menteur est juste ? On définit avec raison la passion : une convoitise de l’âme qui lui fait préférer les biens temporels aux biens éternels. Donc personne ne pourra prouver qu’il est quelquefois permis de mentir sans démontrer en même temps qu’on peut obtenir quelque bien éternel par le mensonge. Mais comme on s’éloigne de l’éternité à mesure qu’on s’éloigne de la vérité, ce serait le comble de l’absurdité de dire que l’on peut arriver par là à quelque chose de bien : ou s’il existe un genre de bien éternel qui n’embrasse