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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/306

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extérieures qui lui appartenaient, mais en lui-même et dans la partie de son être qu’il pouvait atteindre. Depuis les pieds jusqu’à la tête voilà le feu de la douleur qui le brûle, les vers qui fourmillent, le pus qui suinte ; mais dans ce corps en pourriture l’âme demeure intègre, les souffrances horribles d’une chair qui tombe en lambeaux n’entament pas sa piété, ne lassent pas son incorruptible patience. Une épouse est là, non pour porter aucun secours à son époux, mais au contraire pour lui suggérer le blasphème contre Dieu. Car le diable, expert dans le métier de nuire, qui lui avait enlevé tous ses enfants, avait eu soin de lui laisser sa femme ; le tentateur avait appris par Eve, combien elle lui était utile. Mais ici il n’avait pas affaire à un autre Adam, pour pouvoir le prendre par une femme. Job fut plus prudent au milieu des ardeurs de la douleur, qu’Adam ne l’avait été sous les frais ombrages du Paradis ; celui-ci fut vaincu dans les délices, et celui-là victorieux dans les angoisses ; le premier céda aux caresses, le second ne céda point aux tourments. Des amis aussi étaient là, non pour le consoler dans ses maux, mais pour soupçonner le mal. Car ils ne voulaient pas croire innocent celui qui souffrait tant, et leur langue indiscrète l’accusait de ce que sa conscience ne lui reprochait pas. Ainsi en proie aux souffrances atroces du corps, son âme était encore en butte aux opprobres dont on le chargeait à tort. Et lui, supportant dans sa chair ses propres douleurs, et dans son cœur les erreurs d’autrui, reprenait la sottise de son épouse, enseignait la sagesse à ses amis, et gardait en tout la patience.

CHAPITRE XIII. DÉFAUT DE PATIENCE DES DONATISTES. ILS PORTENT SUR EUX-MÊMES DES MAINS CRIMINELLES, QUAND LES CHRÉTIENS LES RECHERCHENT.

10. Qu’ils le considèrent, ceux-là qui se donnent la mort quand on les recherche pour leur donner la vie, et renoncent à la vie future en se privant de la vie présente ! Si on voulait les contraindre à renier le Christ, ou à quelque action contraire à la justice, comme les vrais martyrs, ils devraient tout souffrir patiemment plutôt que de se donner la mort par défaut de patience. Que si cela était permis pour éviter les tourments, Job le saint se serait tué lui-même, pour échapper à la cruauté du démon et se dérober à tant de maux dans ses biens, dans ses enfants, dans ses propres membres. Or, il ne le fit pas. Il était bien loin de commettre contre sa propre personne un crime que sa femme elle-même ne lui suggéra pas. Et si elle le lui avait suggéré, elle aurait bien vite entendu cette réponse qu’il lui fit quand elle lui suggérait de blasphémer : « Vous avez parlé comme une de ces femmes qui sont privées de sagesse. Si nous avons reçu les biens des mains de Dieu, pourquoi n’en recevrions-nous pas aussi les maux  ? »

Aussi aurait-il été mis au rang de ceux dont il est écrit : « Malheur à ceux qui perdent la patience  », s’il l’avait perdue soit en blasphémant selon le conseil de sa femme, soit en se tuant, ce qu’elle n’osa lui conseiller ; et par là il aurait augmenté ses maux, bien loin de les finir, et aurait été jeté dans les supplices destinés aux blasphémateurs, aux parricides et à ceux qui sont plus que parricides. Car si le meurtre des parricides est d’autant plus criminel, que ce n’est pas seulement un homme, mais un homme de leur sang qu’ils mettent à mort, et si entre les parricides mêmes le crime se mesure par le degré de proximité de celui qu’on fait mourir, celui qui se fait mourir lui-même est le plus coupable de tous, puisque personne ne nous est si proche que nous.

Que pensez-vous donc faire, misérables, lorsqu’en vous ôtant la vie vous vous jetez dans les supplices éternels, dont Dieu punira et l’impiété que vous commettez contre lui, et la cruauté que vous exercez contre vous-mêmes ? Cependant vous prétendez aller de pair avec les martyrs, vous dont on pourrait toujours dire : « Malheur à ceux qui perdent la patience  », quand ce serait pour vous soustraire à la fureur des tyrans qui vous persécuteraient pour le nom de Jésus-Christ que vous vous donneriez la mort. Car comment se pourrait-il faire que l’impatience fût couronnée aussi bien que la patience ? et comment celui à qui il est commandé d’aimer son prochain comme soi-même passera-t-il pour innocent, lorsqu’il aura commis contre lui-même, ce qu’il lui est défendu de commettre contre son prochain.