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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/311

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n’en a pitié, si gratuitement il ne la choisit et ne l’aime gratuitement ? Car à moins que Dieu ne guérisse et ne redresse l’homme, en le prévenant par un choix et une bienveillance gratuite, l’homme n’est pas capable de se porter à choisir ni à aimer Dieu ; son aveuglement lui ôtant la vue de ce qu’il faut choisir, et sa langueur, le goût de ce qu’il faut aimer. Mais, dira-t-on, comment se peut-il faire que Dieu choisisse, et aime le premier des méchants et des impies pour les rendre justes, puisqu’il est écrit : « Vous haïssez, Seigneur, tous ceux qui commettent l’iniquité  ? » Il y a là sans doute quelque chose d’inexplicable et d’incompréhensible. Ne concevons-nous pas néanmoins qu’un médecin tendre et charitable hait et aime son malade tout à la fois ? Il hait en lui ce qui le fait malade, et il l’aime pour le guérir.

CHAPITRE XXIII. PATIENCE VRAIE ; PATIENCE FAUSSE.

20. Voilà ce que j’ai cru devoir dire sur le sujet de la charité, sans laquelle il ne saurait y avoir en nous de véritable patience ; car c’est la charité qui supporte les maux dans les bons, comme c’est la cupidité qui les supporte dans les méchants. Or « cette charité n’est dans nous que par le Saint-Esprit qui nous est donné  » ; ainsi nous tenons la patience de Celui-là même de qui nous tenons la charité.

Pour la cupidité, lorsqu’elle supporte avec fermeté le poids des misères dont elle se trouve accablée ; elle se glorifie des forces de sa volonté propre, c’est-à-dire de l’ardeur de la maladie quelle prend pour la vigueur de sa santé. Il y a de la folie à se glorifier de cette sorte ; et ce n’est pas être patient, mais insensé. Cependant cette volonté semble porter les maux avec d’autant plus de patience, qu’étant dépourvue des biens du ciel, elle a plus d’avidité pour ceux de la terre.

CHAPITRE XXIV. VOLONTÉ MAUVAISE SANS L’INSTIGATION DU DÉMON.

21. Mais quoique le malin esprit redouble souvent cette avidité par ses sollicitations impures et parles images trompeuses qu’il forme dans l’esprit, et que, conspirant avec la corruption de l’homme, il porte sa volonté à un point d’erreur, de folie ou d’ardeur, par les plaisirs d’ici-bas, qui lui fasse supporter avec une fermeté surprenante les maux les plus insupportables ; ce n’est pas à dire pour cela qu’il rie puisse y avoir de volonté mauvaise sans l’instigation du démon, comme il n’y en peut avoir de bonne sans le secours du Saint-Esprit. Car il n’y a point de meilleur exemple que le démon même, pour faire voir que la volonté peut être mauvaise sans qu’on soit séduit, ou sollicité par un esprit étranger ; puisque ce n’est pas par l’instigation d’un autre démon, mais par sa volonté propre qu’il est devenu démon.

Ainsi la volonté mauvaise qui étant ou entraînée par le désir, ou retenue par la crainte, ou dilatée par la joie, ou resserrée par la tristesse, méprise et supporte volontiers ce qu’il y aurait de plus dur pour un autre et pour elle, si elle n’était point agitée de ces mouvements, suffit pour se séduire elle-même, sans qu’aucun esprit étranger la pousse. Et à proportion qu’étant vide des choses d’en-haut, et plongée dans celles d’ici-bas, l’objet qu’elle désire posséder, ou qu’elle craint de perdre, ou dont la possession lui donne de la joie, ou dont elle regrette la perte, lui paraîtra doux ; elle portera avec d’autant plus de fermeté tous les maux dont la souffrance ne sera pas capable de balancer le plaisir de la jouissance de ce qu’elle aime. Or, ce qu’elle aime, quoi que ce puisse être, est du genre et de la nature des choses créées. Car on sait que le plaisir des créatures ne consiste qu’à suivre la pente que le commerce perpétuel qu’elles ont entre elles leur donne les unes pour les autres, et qui fait que la créature aimante s’attache à la créature aimée pour en goûter la douceur.

CHAPITRE XXV. DIEU SEUL REND LA VOLONTÉ DONNE.

22. Mais ce plaisir du Créateur, dont il est écrit : « Vous les abreuverez au torrent de vos délices  », est bien d’un autre genre ; car ce n’est point une chose créée comme nous. Si ce plaisir céleste ne produit donc en nous l’amour de Dieu, il n’y a rien qui nous le puisse donner ; et ainsi la bonne volonté, celle par laquelle on aime Dieu, ne saurait être que dans ceux « en qui Dieu opère le vouloir même ». Il est donc clair que cette bonne volonté, c’est-à-dire celle qui est soumise à Dieu avec fidélité, celle qui brûle de la sainte ardeur qui vient