Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/326

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

à entendre cette parole : « Vous armerez le Seigneur votre Dieu de tout votre cœur, de toute votre âme et de tout votre esprit ». L’homme qui n’a pu se créer lui-même, ne peut pas davantage se procurer à lui-même le bonheur. Une puissance essentiellement distincte de l’homme a fait l’homme ; une puissance essentiellement distincte de lui le rendra heureux. Mais hélas ! comme il sent bien qu’il ne peut être heureux par lui-même, il se jette dans l’erreur quand il s’agit de choisir l’objet dont l’amour pourrait le rendre heureux. Il aime ce qui lui parait devoir lui procurer le bonheur. Et qu’aime-t-il donc dans ce but ? La richesse, l’or, l’argent, les possessions ; ou pour tout dire en un mot, la richesse. Et en effet ce nom désigne tout ce que les hommes possèdent sur la terre, tout ce dont ils sont les maîtres. Qu’il s’agisse d’esclave, de vase, de champ, de bois, de troupeau, tout cela s’appelle richesse. Les anciens ont désigné la richesse sous le nom de pécule, parce que les troupeaux (pecus) étaient toute leur richesse. Nous lisons que les anciens patriarches étaient riches en troupeaux. O homme, vous aimez donc la richesse ; vous la regardez pour vous comme un principe de bonheur et vous lui prodiguez tout votre amour. Vous vouliez aimer votre prochain comme vous-même, partagez donc avec lui vos richesses. Je cherchais ce que vous étiez ; maintenant vous vous êtes vu, vous vous êtes regardé, considéré. Vous n’êtes pas disposé à partager vos richesses avec votre prochain. Mais que me répond la bienveillante avarice ? Que me répond-elle ? Si je partage avec lui, ma part sera plus petite et la sienne aussi ; ce que j’aime se trouvera diminué, ni lui ni moi ne posséderons tout ce trésor. Mais parce que je l’aime comme moi-même, je lui souhaite autant de richesses que j’en possède ; de cette manière je ne serai privé de rien, et il possédera autant que moi.



CHAPITRE VII. L’ENVIE EST UN VICE DIABOLIQUE, ISSU DE L’ORGUEIL.

7. Vous désirez de manière à ne rien perdre, et plût à Dieu que votre parole fût sincère, ou que votre désir fût véritable 1 En effet je crains en vous la jalousie. Si le bonheur des autres vous inquiète et vous tourmente, comment votre félicité sera-t-elle la félicité commune ? Que votre voisin commence à s’enrichir, qu’il commence à s’élever, à marcher sur vos traces, ne Craignez-vous pas qu’il vous suive, ne craignez-vous pas qu’il vous devance ? Certainement vous aimez votre prochain comme vous-même. Mais je ne parle pas des victimes de l’envie. Que Dieu préserve de cette triste maladie l’esprit de tous les hommes et surtout des chrétiens ; car c’est là un vice réellement diabolique, dont le démon s’est rendu coupable et éternellement coupable. En prononçant contre le démon la sentence de condamnation, on ne lui a pas dit : Vous avez commis l’adultère ; vous avez usurpé le bien d’autrui il lui fut dit uniquement : parce que vous étiez tombé vous avez porté envie à l’homme resté debout. L’envie est donc un vice diabolique, mais il a une mère et cette mère c’est l’orgueil. C’est l’orgueil qui fait les envieux. Etouffez la mère et il n’en naîtra aucune fille. Voilà pourquoi Jésus-Christ enseigne avec tant de soin l’humilité. Ce n’est donc pas aux envieux que je m’adresse, mais à ceux qui forment de bons désirs. Je parle à ceux qui veulent du bien à leurs amis et leur en souhaitent autant qu’ils en ont eux-mêmes. Par exemple ils désirent pour les pauvres une fortune aussi grande que la leur ; mais quant à leur donner une partie de ce qu’ils possèdent, ils s’y refusent.

Vous vous vantez, chrétien, de souhaiter du bien aux autres ? Mais le mendiant vous est supérieur, puisque n’ayant rien il en désire pour vous davantage. Vous daignez aller jusqu’à souhaiter du bien à celui qui ne reçoit rien de vous : donnez plutôt quelque chose à celui qui vous souhaite du bien. Si c’est une bonne œuvre de désirer du bien aux autres, donnez alors la récompense qu’on mérite. Le pauvre vous souhaite du bien, pourquoi tremblez-vous ? Je vais plus loin ; vous êtes dans la maison de la discipline. J’ajoute donc à ce que j’ai dit, donnez à celui qui vous désire du bien, car il n’est autre que Jésus-Christ lui-même. Celui qui vous demande, c’est celui-là même qui vous a donné. Rougissez de honte. Ce riche a voulu être pauvre afin que vous ayez toujours des pauvres à qui vous puissiez donner. Donnez quelque chose à votre frère, donnez quelque chose à votre prochain, donnez quelque chose à votre compagnon. Vous êtes riche et il est pauvre. Cette vie, c’est la voie véritable, ne refusez pas de la parcourir ensemble.