Aller au contenu

Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/451

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

rapport à lui-même, mais par rapport à son Fils, puisqu’il n’est Père que parce qu’il a un Fils, — mais encore d’une manière absolue et par sa nature même, il n’existe que parce qu’il a engendré sa propre essence. En effet, comme il n’est grand que par la grandeur qu’il a engendrée, ainsi il n’existe que par l’essence qu’il a engendrée, puisque être et être grand sont en lui une même chose. Est-il donc le Père de son essence, comme il est le Père de sa grandeur, comme il est le Père de sa vertu et de sa sagesse ? car sa grandeur est la même chose que sa vertu, et son essence la même chose que sa grandeur.

2. Cette discussion est occasionnée par ces paroles : « Le Christ est la vertu de Dieu et la « sagesse de Dieu ». C’est pourquoi, voulant traiter des choses insondables, nous sommes arrêtés, à cette difficulté : ou de dire que le Christ n’est pas la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu, ce qui serait la négation insolente et impie des paroles de l’Apôtre ; — ou de reconnaître que le Christ est bien la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu, mais que son Père n’est point le Père de sa propre vertu et de sa propre sagesse, — impiété qui ne serait pas moindre, puisqu’il ne serait-pas le Père du Christ, vu que le Christ est la vertu de Dieu et la sagesse de Dieu ; ou que le Père n’est pas puissant par sa propre vertu, ni sage par sa propre sagesse — et qui oserait proférer ce blasphème ? ; ou que, dans le Père, autre chose est d’être, autre chose d’être sage, en sorte qu’il ne serait pas sage par le seul fait qu’il existe — ce qui est vrai de l’âme humaine, laquelle est tantôt insensée, tantôt sage, parce qu’elle est de nature changeante et ne possède pas la simplicité absolue et parfaite ; ou que le Père n’est point par lui-même, et que non-seulement sa qualité de Père, mais son existence même, est relative à son Fils, — comment donc le Fils sera-t-il de la même essence que le Père, si le Père par lui-même n’est pas l’essence, qu’il n’existe point par lui-même, mais ne possède l’être que par rapport à son Fils ? Mais, dira-t-on, il faut bien plutôt dire qu’il est d’une seule et même essence, puisque le Père et le Fils ne sont qu’une seule et même essence ; vu que le Père n’est pas par lui-même, mais seulement par rapport au Fils qu’il a engendré comme essence, essence par laquelle il est tout ce qu’il est. Donc ni l’un ni l’autre n’est par soi, et tous les deux ne sont que relativement l’un à l’autre ; ou bien, dira-t-on du Père seul que non-seulement il n’est Père, mais qu’il n’est rien que par rapport à son Fils, tandis qu’on dira du Fils qu’il est par lui-même ? Si cela est, comment nommera-t-on le Fils en lui-même ? l’appellera-t-on essence ? mais le Fils est l’essence du Père, comme il est la vertu et la sagesse du Père, comme il est le Verbe du Père et l’image du Père.

Ou si l’on dit que le Fils est essence par lui-même, tandis que le Père n’est point essence, mais qu’il a engendré l’essence ; qu’il n’existe point par lui-même, mais par l’essence qu’il a engendrée, comme il est grand par la grandeur qu’il a engendrée : donc le Fils sera aussi par lui-même la grandeur, donc il sera aussi par lui-même la vertu, la sagesse, le Verbe et l’image. Or, quoi de plus absurde que de dire qu’une image est sa propre image ? Ou bien si l’image et le Verbe ne sont pas la même chose que la vertu et la sagesse, que ces deux premiers termes s’entendent dans le sens relatif, et ces deux derniers dans le sens absolu : voilà que le Père ne sera plus sage de la sagesse qu’il a engendrée, puisqu’il ne peut pas être dit sagesse par rapport à elle, ni elle par rapport à lui. En effet, tout rapport suppose deux termes. Reste donc à dire que le Fils est essence par rapport au Père ; d’où ce résultat bien inattendu : que l’essence n’est pas l’essence, ou du moins que quand on dit essence, on entend dire rapport. Donnons un exemple :

L’expression « maître » indique non une essence, mais un rapport vis-à-vis d’un serviteur : mais quand on dit « homme » ou quelque autre chose de ce genre, on indique une essence et non une relation. Ainsi quand on dit d’un homme qu’il est maître, le mot « homme » désigne l’essence, le mot « maître » la relation ; car l’homme est homme en lui-même, et maître par rapport à son serviteur : et la raison de ce langage est que si l’essence est prise dans le sens relatif, elle n’est plus proprement essence. Ajoutons que toute essence prise dans le sens relatif est encore quelque chose en dehors de ce relatif ; ainsi l’homme maître, l’homme serviteur, le cheval animal de somme, la pièce de monnaie arrhes, sont homme, cheval, pièce de monnaie en eux-mêmes, et sont des substances ou des essences ; et ce n’est que dans le sens relatif qu’on les appelle maître, serviteur, animal de somme, arrhes. Mais si l’homme n’existait pas, c’est-à-dire n’était pas