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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/463

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c’est bon, cette terre qui s’élève en montagnes, ou s’abaisse en collines et en plaines ; ce domaine agréable et fertile ; cette maison construite en ailes régulières, vaste, inondée de lumière ; ces animaux, corps vivants ; cette atmosphère tempérée et salubre ; cette nourriture savoureuse et saine ; cette santé exempte de douleur et de fatigue ; cette face humaine régulière dans ses traits, portant l’empreinte de la gaieté et animée de vives couleurs ; ce cœur d’ami aussi aimable dans sa condescendance que fidèle dans son attachement ; c’est bon, cet homme probe et juste ; ces richesses qui procurent tant d’aisance ; ce ciel orné de soleil, de lune et d’étoiles ; ces anges avec leur sainte docilité ; ce langage plein d’une douce instruction et de sages avertissements ; cette poésie au rythme si harmonieux, aux pensées si sérieuses. Que dire de plus ? Oui, ceci est bon et cela encore ; mais ôte ceci et cela et vois-le bien en lui-même, si tu peux, et alors tu verras Dieu, bon, non par emprunt, mais bien de tout bien. Et dans tous ces biens que j’ai énumérés, ou qui peuvent s’offrir à la vue et à la pensée, nous ne pourrions, en jugeant sainement, dire l’un supérieur à l’autre si nous n’avions, imprimée au-dedans de nous, la notion du bien lui-même, d’après lequel nous déclarons une chose bonne et préférons un bien à un autre. C’est ainsi qu’il faut aimer Dieu ; non pas tel ou tel bien, mais le bien lui-même. Car il faut chercher le bien de l’âme, non un bien qu’elle effleure en passant, mais auquel elle s’attache avec amour ; et quel est ce bien, sinon Dieu ? L’âme n’est pas bonne, l’ange n’est pas bon, le ciel n’est pas bon ; mais le bien seul est bon. Un exemple fera peut-être mieux comprendre ce que je veux dire. Quand j’entends parler d’une âme bonne, il y a là deux expressions, et à ces expressions se rattachent pour moi deux idées : elle est âme, elle est bonne. Pour être âme, l’âme elle-même n’a rien fait ; car il n’y avait rien en elle qui pût faire qu’elle existât. Mais pour être âme bonne, je vois que sa volonté a dû agir. Non que le seul fait d’être âme ne soit déjà quelque chose de bon : — autrement pourquoi la dirait-on, et avec toute raison, meilleure que le corps ? — mais cela ne suffit pas pour qu’on la dise âme bonne, parce qu’il lui reste à agir par la volonté, pour se rendre meilleure. Si elle n’en tire point partie, on la blâme à juste titre, et on a raison de dire qu’elle n’est point une âme bonne : car elle diffère de celle qui agit ainsi, et si celle-ci est digne d’éloges, celle qui fait autrement est nécessairement digne de blâme. Mais quand elle agit dans l’intention de devenir bonne, elle ne peut atteindre son but qu’en se dirigeant vers un objet autre qu’elle-même. Or, où se tournera-t-elle pour devenir bonne, sinon vers le bien, en l’aimant, en le désirant, en l’obtenant ? Si donc elle s’en détourne de nouveau et cesse d’être bonne, par le seul fait qu’elle se détourne du bien, à moins de conserver en elle-même le bien dont elle se détourne, elle ne sait plus où se tourner, si elle veut s’amender. 5. Il n’y aurait donc pas de biens changeants, s’il n’y avait un bien immuable. Ainsi, quand vous entendez parler de telle et telle chose qui sont bonnes, et pourraient d’ailleurs ne l’être pas ; si vous pouvez, en dehors de ces choses qui ne sont bonnes que par participation au bien, entrevoir le bien même dont la participation les rend bonnes — et vous en avez l’idée, dès qu’on vous parle de telle ou telle chose bonne — si, dis-je, vous pouvez, en faisant abstraction de ces objets, entrevoir le bien en lui-même, vous aurez entrevu Dieu. Et si vous vous attachez à lui par l’amour, vous goûterez aussitôt le bonheur. Mais quelle honte de s’attacher à des objets qu’on n’aime que parce qu’ils sont bons et de ne pas aimer le bien même qui les rend bons ! Et l’âme elle-même, qui, en tant qu’âme et avant de devenir bonne en se tournant vers le bien immuable, mais simplement parce qu’elle est âme, nous plait tellement que nous la préférons même à la lumière matérielle, si nous avons le sens droit : l’âme, dis-je, ne nous plait pas en elle-même, mais dans la puissance qui l’a créée. Nous puisons notre amour pour elle dans la source même dont nous voyons qu’elle est sortie. Voilà la vérité et le bien simple, qui n’est pas autre chose que le bien même et, par conséquent, le souverain bien. Car un bien ne peut diminuer ou grandir, que quand il n’est bien que par un autre bien. Pour être bonne, l’âme se tourne donc vers ce qui l’a faite âme. C’est alors que la volonté s’unit à la nature pour perfectionner l’âme dans le bien, quand cette volonté se tourne par amour vers le bien, d’où vient le bien qui ne se perd pas même quand la volonté se détourne. En effet, en se détournant