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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/485

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Mais comment donc connaît-elle d’autres âmes et ne se connaît-elle pas elle-même, quand rien ne peut lui être plus présent qu’elle-même ? Que s’il en est ici comme pour les yeux du corps qui connaissent mieux les autres yeux qu’ils ne se connaissent eux-mêmes, l’âme peut se dispenser de se chercher : car elle ne se trouvera jamais. En effet, les yeux ne se verront jamais eux-mêmes qu’à l’aide du miroir ; et on ne peut supposer qu’il existe des procédés analogues pour les choses immatérielles, et que l’âme puisse se connaître dans un miroir. Ou bien voit-elle, dans la raison de l’éternelle vérité, combien il est beau de se connaître soi-même ; et aime-t-elle ce qu’elle voit, et désire-t-elle le voir réalisé en elle ? En ce cas, bien qu’elle ne se connaisse pas, elle connaît du moins l’avantage qu’elle aurait à se connaître. Et c’est déjà quelque chose de bien étonnant de ne pas se connaître encore et de savoir néanmoins combien il est beau de se connaître soi-même. Serait-ce enfin qu’elle découvre quelque but excellent, c’est-à-dire sa sécurité et son bonheur, à l’aide de quelque secrète réminiscence qui ne l’a point abandonnée dans ses lointaines pérégrinations, et qu’elle sente qu’elle ne peut atteindre ce but sans se connaître elle-même ? Alors elle aime ce but, et en cherche le moyen ; elle aime le but qu’elle connaît, et cherche, en vue de lui, ce qu’elle ne connaît pas. Mais pourquoi le souvenir de son bonheur ne s’est-il point perdu, pendant que le souvenir d’elle-même s’effaçait ? Pourquoi elle qui veut parvenir au but, ne s’est-elle pas aussi bien connue que le but auquel elle veut parvenir ? Serait-ce que, quand elle aime à se connaître, ce n’est pas elle-même, qu’elle ne connaît pas, mais sa propre connaissance qu’elle aime, et qu’elle souffre de ne pas faire partie elle-même de sa propre science qui veut tout embrasser ? Mais elle sait ce que c’est que connaître, et tout en aimant ce qu’elle connaît, elle désire aussi se connaître elle-même. Or, où a-t-elle pris l’idée de sa propre connaissance, si elle ne se connaît pas ? Car elle sait qu’elle connaît d’autres choses et qu’elle ne se connaît pas ; c’est même par là qu’elle connaît ce que c’est que connaître. Comment donc sait-elle qu’elle sait quelque chose, elle qui s’ignore elle-même ? En effet, ce n’est pas d’une autre âme, mais d’elle-même, qu’elle sait qu’elle sait. Elle se sait donc elle-même. Et en se cherchant pour se connaître, elle sait qu’elle cherche. Elle se connaît donc déjà. Il n’est donc pas possible qu’elle s’ignore absolument, elle qui, sachant qu’elle ne se sait pas, se sait par là même. Que si elle ignore qu’elle ignore, elle ne peut se chercher pour se connaître. Donc, par le seul fait qu’elle se cherche, elle prouve plutôt qu’elle se connaît qu’elle ne prouve qu’elle s’ignore. En effet, en se cherchant pour se connaître, elle connaît qu’elle se cherche et qu’elle s’ignore.


CHAPITRE IV.

L’ÂME HUMAINE NE SE CONNAÎT PAS EN PARTIE, MAIS TOUT ENTIÈRE.

6. Que dirons-nous donc ? Sera-ce que l’âme se connaît en partie et en partie s’ignore ? Mais il est absurde de dire que l’âme tout entière ne sait pas ce qu’elle sait. Je ne dis pas qu’elle sait tout ; mais ce qu’elle sait, elle le sait tout entière. Quand donc elle sait d’elle quelque chose — et elle ne peut le savoir que tout entière — elle se sait tout entière. Or, elle sait qu’elle sait quelque chose, et elle ne peut rien savoir que tout entière. Elle se sait donc tout entière. D’ailleurs est-il rien qu’elle connaisse aussi bien que sa propre vie ? Or, elle ne peut pas être âme, et ne pas vivre, quand, outre la vie, elle a encore l’intelligence ; car les âmes des bêtes ont la vie et non l’intelligence. De même donc que l’âme est âme tout entière, ainsi elle vit tout entière. Or, elle sait qu’elle vit. Donc elle se connaît tout entière. Enfin, quand l’âme cherche à se connaître, elle sait déjà qu’elle est âme ; autrement elle ne saurait pas si elle se cherche, et elle pourrait chercher une chose pour une autre. Il pourrait se faire qu’elle ne fût pas âme elle-même, et qu’en cherchant à connaître une âme, elle ne se cherchât pas elle-même. Donc quand l’âme cherche à savoir ce que c’est que l’âme, elle sait qu’elle se cherche, et par conséquent, qu’elle est âme. Or, si elle reconnaît en elle-même qu’elle est âme, et si elle est âme tout entière, elle se connaît donc tout entière. Mais supposons qu’elle ne sait pas qu’elle est âme ; du moins quand elle se cherche, elle sait seulement qu’elle se cherche. Et si elle ne le sait pas, elle peut chercher une chose pour une autre ; et pour ne pas se fourvoyer ainsi, elle