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Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/541

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perfection et de grandeur. Peut-être encore les trois autres vertus y subsisteront-elles aussi : la prudence, sans aucun danger d’erreur ; la force, sans la nécessité de supporter les maux ; la tempérance, sans la lutte contre les passions. La prudence alors consisterait à ne préférer ou à n’égaler aucun bien à Dieu ; la force, à s’attacher à lui avec une fermeté inébranlable ; la tempérance, à ne se complaire en rien de défectueux et de coupable. Mais quant à la fonction propre de la justice, de venir au secours des malheureux ; à celle de la prudence, de se précautionner contre les embûches ; à celle de la force, de supporter les événements fâcheux ; à celle de la tempérance, de réprimer les jouissances illicites, il n’en sera plus question là où tout mal sera inconnu. Par conséquent, les opérations de ces vertus, nécessaires pour cette vie mortelle, seront, comme la foi même à laquelle elles se rattachent, rangées parmi les choses passées. Maintenant elles forment une trinité quand elles sont présentes à notre mémoire, que nous les voyons et que nous les aimons ; mais elles en formeront une autre alors, quand, à l’aide de certaines traces qu’elles auront laissées chez nous en passant, nous verrons qu’elles ne sont plus, mais qu’elles ont été trinité qui se composera de ce vestige quelconque conservé dans la mémoire, de la connaissance exacte que nous en aurons et de la volonté qui viendra en tiers unir ces deux choses entre elles.


CHAPITRE X.

COMMENT LA TRINITÉ SE FORME DANS L’ÂME QUI SE SOUVIENT D’ELLE-MÊME, SE COMPREND ET S’AIME.

13. Parmi les choses temporelles dont nous avons parlé et qui font l’objet de la science, il en est qui sont susceptibles d’être connues avant qu’on ne les connaisse ; comme, par exemple, les choses sensibles qui existent en réalité avant qu’on en ait connaissance ; ou encore celles qui sont connues par l’histoire. Il en est d’autres qui commencent dans le moment même, comme quand, par exemple, un objet visible qui n’existait pas du tout, surgit tout à coup devant nos yeux, et n’est évidemment pas antérieur à la connaissance que nous en avons ; ou encore quand un son se fait entendre, et commence et finit en même temps que l’audition de celui qui l’écoute. Mais les unes et les autres, soit antérieures à la connaissance, soit simultanées, engendrent leur connaissance et n’en sont point engendrées. Et quand une fois connues et renfermées dans la mémoire, elles sont revues, qui ne voit que ce classement dans la mémoire est antérieur à la vision résultant du souvenir et à la réunion des deux, formée par la volonté ? Mais dans l’âme il n’en est pas ainsi : l’âme n’est pas accidentelle pour elle-même, comme si elle était telle par elle-même et qu’il lui vînt d’ailleurs une autre elle-même qu’elle n’était pas d’abord, ou du moins comme si, sans venir du dehors, il lui naissait dans elle-même qu’elle était, une autre elle-même qu’elle n’était pas, par exemple, comme la foi qui n’était pas dans l’âme, et naît dans l’âme qui était déjà âme auparavant ; ou comme quand, postérieurement à la connaissance qu’elle a d’elle-même, elle se voit, par le souvenir, établie en quelque sorte dans sa propre mémoire, comme si elle n’y eût pas été avant de s’y connaître, bien que certainement depuis qu’elle a commencé d’être, elle n’ait jamais cessé de se souvenir d’elle-même, de se comprendre et de s’aimer, ainsi que nous l’avons déjà fait voir. Par conséquent lorsqu’elle se tourne vers elle-même par la connaissance, il se forme une trinité où déjà on peut découvrir le verbe : car il est formé de la pensée, et la volonté les unit l’un à l’autre. C’est donc là surtout qu’il faut reconnaître l’image que nous cherchons.


CHAPITRE XI.

SE SOUVIENT-ON MÊME DES CHOSES PRÉSENTES ?


14. Mais, dira-t-on, que l’âme se souvienne d’elle-même alors qu’elle est toujours présente à elle-même, ce n’est pas de la mémoire. C’est au passé qu’appartient la mémoire, et non au présent. En effet, ceux qui ont traité des vertus, entre autres Cicéron, ont divisé la prudence en trois parties : la mémoire, l’intelligence, la prévoyance, attribuant au passé la mémoire, au présent l’intelligence, et à l’avenir la prévoyance qui n’est infaillible que chez ceux qui connaissent les choses futures : privilège refusé aux hommes, à moins qu’il ne leur vienne d’en haut comme aux prophètes. Aussi le sage, en parlant des hommes, a dit : « Les pensées des hommes sont timides, et nos