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le prophète et le conseiller de la Révolution ? Il se déclare monarchiste ; il voit dans la royauté le seul moyen efficace d’empêcher la tyrannie d’une classe ou d’un parti.

Quant à Turgot, il ne songe qu’à organiser la monarchie.

Aucun de ces illustres morts, alors si vivants dans les esprits, n’avait proposé aux Français et pour la France la république, même comme un idéal lointain. Au contraire la monarchie est pour eux l’instrument nécessaire du progrès dans l’avenir, comme elle l’avait été dans le passé.

De même, les penseurs, les écrivains qui sont vivants en 1789 s’accordent à écarter l’idée d’une république française.

Le plus célèbre, le plus admiré, le plus écouté, c’est l’abbé Raynal. Dans son Histoire philosophique des deux Indes (1770), il avait émis toute sorte de vœux, remué toute sorte d’idées, sauf celle d’établir la république en France. Est-il plus républicain sous Louis XVI qu’il ne l’avait été sous Louis XV ? Non : en 1781, dans un écrit retentissant sur la révolution d’Amérique, il met les Français en garde contre l’enthousiasme que leur cause cette révolution, et il formule des pronostics assez pessimistes sur la jeune république[1].

Condorcet, le plus grand (sinon le plus influent) des penseurs d’alors, lui qui, en 1791, sera le théoricien de la république, Condorcet, qu’on peut appeler l’un des pères, l’un des fondateurs de la république française, ne croyait cette forme de gouvernement, avant la Révolution, ni possible ni désirable chez nous. Il ne voulait même pas, en 1788, qu’on criât au despotisme royal[2], et, dans l’établissement des Assemblées provinciales, si on le perfectionnait, il voyait la régénération de la France.

Quant à cette multitude de pamphlétaires qui, à la veille ou au moment des États généraux, exprimèrent avec une franchise hardie leurs vues politiques et sociales, lequel demanda la république ? Ce n’est pas Mirabeau, qui fut toujours si résolument monarchiste. Ce n’est pas Siéyès, qui, dans ses théories sur les droits de la nation, les droits du tiers état, se montra monarchiste et resta monarchiste tant que la monarchie vécut, même après qu’il se fut formé un parti républicain. Cérutti voulait une monarchie très libérale. Je sais bien que quelques libellistes se firent accuser de républicanisme, comme d’Antraigues, dont le retentissant Mémoire sur les États généraux débutait ainsi : « Ce fut sans doute pour donner aux plus héroïques vertus une patrie digne d’elles, que le ciel voulut qu’il existât des républiques, et

  1. Révolution de l’Amérique par l’abbé Raynal, Londres, 1781, in-8. Bibl. nat., Pb, 211. — Dans l’article Raynal de la Biographie Michaud, on nie que cet ouvrage soit l’œuvre de Raynal, et Quérard fait chorus, mais sans donner aucune raison. C’est le style, ce sont les idées de Raynal. Le livre fut publié sous son nom. Thomas Paine en fit paraître une réfutation, Raynal n’en désavoua pas la paternité, et aucun contemporain, que je sache, ne mit de doute que Raynal n’en fût l’auteur.
  2. Lettres d’un citoyen des États-Unis à un Français, sur les affaires présentes, par le M*** de C***, Philadelphie, 1788, in-8. Bibl. nat., Lb 39/792.