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ORGANISATION DE LA MONARCHIE

encore à la réflexion, que le fait d’avoir défini les prérogatives du prince avant de fixer les droits de la nation[1].

Mais cette République, dont on ne veut même pas parler, on « l’infuse »[2]dans la monarchie, si largement que ce roi inviolable n’a plus presque aucun des pouvoirs d’un roi[3].

Voici, en effet, tout l’article voté le 22 septembre 1789 :

« Le gouvernement français est monarchique ; il n’y a point en France d’autorité supérieure à la loi ; le roi ne règne que par elle, et ce n’est qu’en vertu des lois qu’il peut exiger l’obéissance. »

C’est clair, et cependant on craint que ce ne soit pas assez clair encore, que le pouvoir divin du roi ne paraisse pas suffisamment aboli et, le lendemain 23, sur la motion de Fréteau, cet article est voté : « Tous les pouvoirs émanent essentiellement de la nation, et ne peuvent émaner que d’elle. » On avait déjà dit cela dans la Déclaration[4] ; on le répète ici, pour bien montrer qu’il s’agit d’une monarchie subordonnée a la nation, et, afin de mieux affirmer encore cette subordination, cet article 2 devient l’article 1er et précède celui qui consacre la monarchie. Cela fut voté, d’après Gorsas[5], à l’unanimité et avec applaudissements.

Si l’on veut comprendre dans quel esprit la Constituante organisa la monarchie, il faut se rappeler que par ce mot : la nation, elle entendait une nouvelle classe privilégiée, celle que nous appelons la bourgeoisie.

Elle veut un roi qui soit entre ses mains, mais qui conserve assez de force pour la défendre contre la démocratie.

Ainsi elle accorde au roi le droit de veto, mais elle ne le lui accorde que suspensif, c’est-à-dire que les effets en cesseront « lorsque les deux législatures qui suivront celle qui aura présenté le décret auront successivement représenté le même décret dans les mêmes termes[6] ». De la sorte, si le roi, s’appuyant sur un courant d’opinion démocratique, entreprenait de secouer la tutelle de la bourgeoisie, il n’y réussirait pas. Ce n’est donc pas seulement dans une vue révolutionnaire que l’on rejeta le veto absolu, mais aussi dans une vue anti-démocratique.

C’est ce que Paris ne comprit pas, quand il se leva contre le veto absolu.

  1. Ami du peuple, n° VI, p. 39, et n° XII, p. 110.
  2. Selon le mot et le conseil de d’Argenson. Voir plus haut, p. 11.
  3. Le caractère fragile de cet édifice à la fois monarchique et républicain aurait été dès lors aperçu, d’après un témoignage rétrospectif de Du Pont (de Nemours), par quelques députés, qui auraient dit : « Vous avez tissu une république; vous voulez broder dessus une monarchie ; l’aiguille accroche, et l’étoffe risque de ne pas durer.» Voir le journal l’Historien, n° du 1er frimaire an IV, p. 12. Bibl. nat., Le 2/900, in-8.
  4. Article 3 de la Déclaration : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ; nul corps, nul individu, ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément. »
  5. Courrier de Versailles à Paris et de Paris à Versailles, t. III, p. 134. Bibl.nat., Le 2/159, in-8.
  6. Chaque législature devait durer deux ans.