Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
63
LE RÉGIME CENSITAIRE

de la cité ce peuple qui avait pris la Bastille. Une émeute parisienne (meurtre du boulanger François) fournit fort à propos des arguments à la bourgeoisie contre le peuple : le 21 octobre, la loi martiale fut votée au profit de l’ordre bourgeois qui s’annonçait. La discussion reprit le 22, plus vive, plus passionnée, et on y vit aux prises les bourgeois et les démocrates. « M. l’abbé Grégoire, dit un journaliste contemporain, s’est élevé, avec sa véhémence ordinaire et patriotique, contre cette condition : « L’argent, a-t-il dit, est un ressort en matière d’administration : mais les vertus doivent reprendre leur place dans la société. La condition d’une certaine contribution est un excellent moyen que propose le Comité de constitution pour nous replacer sous l’aristocratie des riches. Il est temps d’honorer l’indigent ; il a des devoirs à remplir comme citoyen, quoique sans fortune ; il suffit qu’il ait un cœur français[1]

Adrien du Port, qui était une des lumières de la bourgeoisie, s’éleva lui aussi, et au nom de la Déclaration des droits, contre toute restriction censitaire, et Defermon parla dans le même sens[2]. Reubell ne fut pas de cet avis ; mais il lui parut que ces mots : journées de travail, présentaient « une idée avilissante », et, « de même que le Comité proposait une contribution de la valeur d’un marc d’argent, comme condition d’éligibilité à l’Assemblée nationale, il suivait la progression en exigeant une contribution d’une once d’argent pour être éligible aux assemblées primaires[3] ». Et Gaultier de Biauzat, renchérissant, demanda deux onces d’argent« [4] . « M. Noussitou disait que, dans le Béarn, on n’avait jamais consulté la mesure des impôts, mais les lumières pour la représentation. M. Robespierre puisait dans la Déclaration des droits la preuve que les citoyens n’avaient pas besoin de payer une contribution pour exercer les droits politiques, sans lesquels il n’existerait pas de liberté individuelle[5]. »

Du Pont (de Nemours), « pénétré de l’idée que la propriété est la base fondamentale de la société[6] », émit un avis mixte : que tout homme fut éligible ; mais, pour être électeur, il faut être propriétaire[7].

Démeunier défendit le projet du Comité : « En payant trois journées de travail, dit-il, c’est un motif d’émulation et d’encouragement, et cette incapacité n’est que momentanée : le non-propriétaire le deviendra tôt ou tard[8]. » C’est déjà le Enrichissez-vous, de Guizot.

  1. Le Hodey, t.V, p.147-148. D’après Gorsas, Courrier, t.V, p.77, Grégoire aurait dit que, pour être électeur ou éligible, « il ne faut être que bon citoyen, et avoir un jugement sain et un cœur français. »
  2. Point du Jour, t.III, p.416
  3. Ibid., t.III, p.415
  4. Le Hodey, t.V, p.149
  5. Point du Jour, t.III, p.415. On trouvera des analyses plus étendues du discours de Robespierre dans Le Hodey, t.V, p.149, et dans Gorsas, t.V, p.78.
  6. Point du Jour, ibid.
  7. Le Hodey, t.V, p.149
  8. Ibid., p. 151