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Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/30

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L’abbé Raynal avait osé attaquer la religion catholique et déifier la raison. « La philosophie, disait-il, doit tenir lieu de divinité sur la terre ; c’est elle qui lie, éclaire, aide et soulage les humains. » Suivant lui, la philosophie était seule digne de diriger la politique et de devenir l’inspiratrice des lois. « Tout écrivain de génie est magistrat né de sa patrie ; son tribunal, c’est la nation entière, le public son juge, non le despote qui ne l’entend pas ou le ministre qui ne veut pas l’écouter, c’est aux sages de la terre qu’il appartient de faire des lois, et tous les peuples doivent s’empresser de les adopter. » Ce n’est pas tout ; l’écrivain rappelait une ancienne coutume de l’île de Ceylan qui assujettissait le souverain à l’observation de la loi, et qui le condamnait à la mort s’il osait la violer. Il ajoutait avec une hardiesse peu commune : « Si les peuples connaissaient leurs prérogatives, cet ancien usage subsisterait dans toutes les contrées de la terre. »

Une telle audace ne pouvait rester impunie. L’auteur fut décrété de prise de corps ; mais on lui laissa le temps de s’évader, et il se réfugia auprès du roi de Prusse[1].

La censure fut perfectionnée au xviiie siècle. Jusque-là, les examinateurs laïques étaient choisis isolément et pour l’examen d’un seul ouvrage. Dès 1741, on nomma des censeurs royaux en certain nombre, pour chacune des parties des connaissances humaines, et avec un titre permanent. Lottin de Saint-Germain, dans son Catalogue chronologique des libraires de Paris en 1789, donne une liste des censeurs royaux de l’époque : il y en avait dix pour la théologie, dix pour la jurisprudence, dix pour la médecine, histoire naturelle et chimie, huit pour les mathématiques, trente-cinq pour les belles-lettres, un pour la géographie, la navigation et les voyages, un pour la peinture, gravure et sculpture, etc.[2].

Outre la censure préalable des censeurs royaux, les auteurs pouvaient bomber sous la censure de la Congrégation de L’Index, qui siégeait à Rome et qui était représentée à Paris par le Nonce.

Si ces deux censures, ou plutôt ces deux barrières, étaient heureu-

  1. L’esprit révolutionnaire avant la Révolution, par Rocquain, p. 389 et suiv.
  2. Peignot, loc. cit. p. 79.