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Page:Avenel - Histoire de la presse française, 1900.djvu/44

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Toutes les feuilles qui circulaient dans Paris avant 1789 et qui avaient un caractère politique, le Journal de Genève, le Journal de Bruxelles et les Annales politiques, civiles et littéraires du célèbre Linguet, étaient soumises au visa de la censure.

Quant aux organes qui, comme la Correspondance littéraire et secrète ou le Courrier de l’Europe, voulaient s’affranchir de toute tutelle, leur circulation était le plus souvent entravée soit par les suppôts du ministère, soit par ceux du lieutenant de police.

Il y avait bien aussi des feuilles clandestines, que l’on colportait sous le manteau, de la main à la main. Les Nouvelles ecclésiastiques, écrites et propagées par les Jansénistes contre les Jésuites, ont eu un grand retentissement au XVIIIe siècle. Les poursuites de tout genre furent impuissantes contre les Nouvelles. En dépit des saisies, des brûlures, de la police et de la Bastille, l’opiniâtre feuille reparaissait, suivant le mot de Hatin, toujours plus vive, plus provocante et et plus audacieuse. Mais les Nouvelles n’entretenaient leurs lecteurs que de querelles religieuses, dont l’intérêt était des plus minces pour l’ensemble de la nation, quoiqu’elles fussent écrites d’un style acrimonieux et envenimé, qui fait songer au fameux vers de Boileau :

« Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots !

Comme on le voit d’après ce rapide résumé, l’influence des journaux était trop faible encore, avant 1789, pour faire pénétrer dans toutes les couches sociales de la France les idées et les principes de progrès et de liberté dont le germe fut déposé par les grands écrivains du xviu e siècle : Voltaire, Rousseau, Montesquieu, D’Alembert, Diderot, Beaumarchais, Raynal, Mably, Condillac, Chamfort, Condorcet, etc.

Dès l’année 1776, Condorcet publie des Fragments sur la liberté de la presse du plus haut intérêt[1]. On peut se faire une idée assez exacte de l’importance et de la hardiesse de l’ouvrage de Condorcet par le seul résumé des questions que le philosophe pose à ses lecteurs et des réponses qu’il y fait : Dans quoi cas un écrit peut-il passer pour crime ou délit public ? S’il est simplement l’expression d’une opinion, n’est-il pas inique et imprudent de le frapper ? La persécution n’accroit-elle pas la célébrité d’un écrivain ? Les gens

  1. Œuvres de Condorcet, t. XI, p. 255 et suiv. de l’édition Didot. Paris, 1847.