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Page:Bédier - Les Fabliaux, 2e édition, 1895.djvu/81

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Aryas en la période d’unité et transportés avec eux dans leurs migrations, n’avaient cessé d’être l’apanage exclusif de la race indo-européenne ? Chaque famille isolée conservait cet héritage, qui ne franchissait que très malaisément les frontières d’une langue et d’un peuple : car la dernière chose qu’un peuple emprunte à un autre, ce sont, disait-il, ses contes de fées.

Cette opinion était fort soutenable au début des recherches de Grimm, alors qu’on n’avait guère collectionné de contes qu’en Europe. Mais depuis, on en a recueilli chez les Kalmouks qui ne sont pas aryens, chez les Japonais qui ne sont pas aryens, etc. et ce sont souvent les mêmes contes !

Grimm, qui n’était pas sans connaître des contes africains analogues à ses contes allemands, s’obstina pourtant à soutenir que, sauf quelques cas isolés, les contes ne se propageaient jamais par emprunts ; et c’est alors qu’il exprima l’idée que ces ressemblances pouvaient s’expliquer par des coïncidences : « Il y a des situations si simples et si naturelles qu’elles réapparaissent partout, comme ces mots qui se reproduisent sous des formes toutes semblables en des langues qui n’ont aucun rapport entre elles, parce que des peuples divers ont imité de manière identique des bruits de la nature [1] . »

Aujourd’hui je doute qu’il se trouve encore des folkloristes pour défendre cette position devenue intenable. Il a semblé pourtant à plusieurs que M. Andrew Lang était de ceux-là. M. Cosquin [2], M. Krohn[3] M. Sudre[4], M. Jacobs[5], d’autres encore, dont je fus, avaient noté dans ses livres, nombre de passages inquiétants ; tel celui-ci : « Nous croyons impossible, pour le moment, de déterminer jusqu’à quel point il est vrai de dire que les contes ont été transmis de peuple à peuple et transportés de place en place dans le passé incommensurable de l’espèce humaine, ou jus-

  1. Oui certes ; mais ces coïncidences qui ont pu faire réinventer des contes très simples ont précisément la môme importance que les onomatopées pour la comparaison de deux langues. C’est-à-dire que, comme les onomatopées, elles sont très rares et négligeables.
  2. E. Cosquin, L’origine des contes populaires européens et les théories de M. Lang, 1891, p. 6.
  3. Kaarle Krohn, Bar und Fuchs, Helsingfors, 1891.
  4. L. Sudre, Les Sources du romande Renart, Paris, 1893, p. 8.
  5. J. Jacobs, Cinderella in Britain, dans le numéro de septembre 1893 de la revue Folklore.