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Page:Bérard - Un mensonge de la science allemande, 1917.djvu/226

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sur un texte d’Homère si mal établi, si incertain, si fluidement amorphe qu’ils en pussent faire tout ce qui leur plaisait ; contrôlés par tout l’hellénisme d’alors, qui savait son Homère par cœur et en tenait les poèmes pour des textes quasi-sacrés, les Alexandrins auraient échoué dans cette entreprise sacrilège, si jamais ils l’avaient conçue ; ils ne paraissent pas en avoir eu l’idée ; pour n’avoir pas la rigueur scientifique de nos méthodes et la sécheresse de nos affirmations, leurs procédés n’étaient ni capricieux ni fantaisistes ; si nous avions les Commentaires dont s’accompagnaient leurs Diorthoses, nous verrions probablement qu’ils légitimaient avec soin toutes leurs corrections et qu’un respect parfois superstitieux entravait leurs critiques les plus justes. Le seul texte du Venetus aurait dû avertir Villoison et ses contemporains.

En marge du Venetus, en effet, figuraient ces fameux « signes critiques[1] », dont un autre manuscrit de Saint-Marc expliquait à Villoison les secrets. Tel de ces signes indiquait bien l’esprit dont étaient animés les Alexandrins. Quand un vers leur semblait interpolé dans le texte homérique, quand ils avaient contre ce vers toutes les raisons linguistiques, logiques et littéraires et même quand la comparaison des divers manuscrits leur donnait la preuve matérielle que ce vers était l’œuvre d’un faussaire ou, plus souvent, l’apport d’un copiste maladroit, d’un éditeur rusé, il ne faut pas croire que Zénodote, Aristarque et leurs disciples avaient l’audace d’expulser cet intrus : ils le notaient seulement, en marge, d’une « brochette », obelos, d’un

  1. Le lecteur français trouvera un exposé encore satisfaisant de cette question dans l’Appendice II à l’Iliade d’A. Pierron (vol. II, p. 523) ; mais c’est dans l’admirable thèse d’Henri Alline, Histoire du texte de Platon (Bibl. de l’École des Hautes Études, 1915), qu’il prendra l’idée la plus complète des méthodes alexandrines.