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Page:Baillon - Histoire d'une Marie, 2è édition, 1921.djvu/165

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se brisent les ailes ; il réfléchissait. « Je travaille comme un condamné à mort qui voudrait finir ses mémoires. » De ceci, il ne confiait rien à Marie.

Elle lui voyait quelquefois au front une grosse veine. Elle se demandait : « Pourquoi à son travail se donne-t-il tant de mal ? » Il voulait écrire l’histoire d’un jeune homme. Les premières phrases venaient bien, elle les savait par cœur tant il les lisait souvent. Mais les autres, plus loin, s’embrouillaient. Il se plaignait : « J’en suis toujours au même passage. »

Peut-être à cause de ses écrits, Henry tomba malade. Pas subitement, pas d’une seule pièce, comme François qui en trois jours prit la fièvre, s’alita et mourut. Ce midi, pour dîner, elle avait rôti de la viande. La tranche se trouvait un peu dure, elle allait dire : « Donne, que je te la découpe », et, vlan ! le morceau vola contre le mur : il en resta sur le papier une large tache. Le lendemain, il annonça : « Aujourd’hui, je me repose. » Les jours suivants, il somnola sur une chaise.

— Henry, qu’as-tu donc ?

Comme une barre qu’il sentait dans le cerveau : quelque chose de dur qui ne voulait pas se déplier et l’empêchait de réfléchir. C’était un oiseau aussi, un oiseau effrayé qui donne des ailes contre sa cage : cela se passait dans sa tête ; dès qu’il pensait à ses phrases, son esprit avait peur.

Avec tout ce qu’elle portait de consolant dans son cœur, Marie lui disait :

— Laisse un peu là tes histoires ; reste près de moi.