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Page:Baillon - Le Perce-oreille du Luxembourg, 1928.djvu/165

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— Et les affaires, cela marche ?

— Oui, fis-je dans le vague.

— Les miennes…

Cela se voyait : les siennes marchaient. Trois grosses bagues, une pochette de soie, des chaussures vernies qui craquaient, agaçantes. Il était loin le temps des ongles sales.

Tout en parlant, il me lançait de petits coups d’œil. Ils signifiaient nettement : « Toi, tu n’arriveras jamais à ma mesure ». Je ne le désirais pas. Pourtant, je rageais, les jarrets contractés comme le jour où j’avais failli le battre pour venger mon perce-oreille. Je ne cessais de penser à cette histoire. Je la voyais se dérouler et, chose qui m’étonnait, ce n’était pas un gamin, c’était ce costaud qui levait un talon vernis sur ce pauvre insecte. Et puis à m’examiner ainsi, ne devinait-il pas que j’étais une bourrique ? J’eusse accepté n’importe quoi pour me débarrasser de lui.

— Et tu habites toujours le quai ? Moi, j’y reviens. Nous serons voisins mon vieux. Je m’installe.

Il put voir à mon air que je ne me réjouissais pas autant que lui. Avec une gaîté convenue, il se frotta les mains :

— Oui, vieux. Et l’on se reverra… Patron, deux chopines.