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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/106

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la veille. Mais hier, je n’avais pas cette bûche et cela me tracasse. Malgré moi, du regard, je la fends.

Mais enfin, au bout de deux heures, ma figure, les arbres, la chaussée ont trouvé leur place.

Le troisième jour, Pol me rattrape :

— Quand tu voudras, mon vieux.

Je n’ai plus seulement que ma bûche : il y aurait à remuer ce coin de terre ; il y a mes légumes qui ont soif ; il y a Spitz qui s’embête ; il y a tout ce qui, derrière ma chaise, existe de ce monde et qu’il me faudrait voir :

— Tu permets, Pol, je vais jeter quelques graines…

— Oui, mon vieux, dépêche-toi.

— Une minute, Pol, j’entends un poussin…

— Reviens vite, dit Pol.

Ainsi de jour en jour, tantôt le matin, tantôt l’après-midi, quelquefois encore un peu le soir :

— Quand tu voudras, me dit Pol.

Scrupuleux, il travaille à petites touches. Il ne va pas vite. Quelquefois, il efface.

Lié sur ma chaise, je regarde Marie aller où elle veut, je perds ma brique et après mes cailloux :

— Attention, dit Pol, la tête à droite, l’épaule plus effacée.

Je tourne, j’efface ; mais les jambes me repartent toutes seules ; dégoûté de ma brique, je ne la trouve plus qu’en louchant.

Enfin le dixième jour :

— J’ai fini, annonce Pol.

Mais l’œuvre est vraiment bien. À ne pas aller vite, ce sacré Pol, il a tout vu : tout y est ; mes arbres y sont, mes choux y sont, moi au complet avec le brun de ma veste, le rose de mon front, la tache de soleil qui faisait de mon nez un beau morceau de couleur — et même, sans qu’il s’en rendît compte, ce quelque chose de mauvais à mes lèvres, qui pendant dix jours, injustement, se sont serrées :

— Crétin !

Marie a plus de chance. À peine Pol l’a-t-il campée devant la porte, une gerbe de blé sous le bras, en gaillarde qui revient