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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/127

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Il entame lentement le début des prières que les autres continuent après lui, à haute voix, comme cela se fait le dimanche à l’église. On distingue le fausset des enfants et le bourdonnement de Guido, qui arrive le dernier, parce qu’en même temps que ses mots, il doit traîner sa peine.

Gille le laisse finir, puis il recommence.

Quand il a fait trois fois le tour de son chapelet, il récite une dizaine d’Ave, dont il précise pour chacun, une intention spéciale. Au dernier il annonce :

— Pour celui d’entre nous qui mourra le premier.

— Amen.

C’est fini. Chacun se lève. Sur le seuil les hommes allument leur pipe à leur lanterne. Les femmes partent en avant. Guido n’a pas bougé.

Je suis allé voir la morte en plein jour.

Tout de son long, dans le lit, elle n’avait plus ses joues roses, et dans sa bouche ses dents semblaient des graines jaunes de maïs. Son ventre, sous le drap, faisait une grosse bosse : son dernier qu’elle emporte.

Avec le buis, je lui jette un peu d’eau bénite et voilà tout à coup Johanna qui pleure.

Tandis que je la regarde, Guido, à genoux devant l’âtre, souffle la flamme sous la marmite de ses bêtes :

— Il faut qu’elles mangent.

Turbulents dans un pré, les enfants poussaient tout seuls.

Lorsque nous revenons le soir, pour le rosaire, le cadavre est déjà dans ses planches. Le cercueil est tout frais : cela sent bon la résine, comme dans une sapinière lorsque l’on fend du bois. Puis je surprends une autre odeur, ô truculente Johanna !

Le matin de l’enterrement, Guido a mis sa culotte et sa belle blouse des dimanches. Il a gardé son visage de tous les jours, un visage en terre trop cuite pour y sculpter encore de la tristesse. Il fume sa pipe. Comme le monde arrive, il la retire et la fourre dans sa poche, pour tout à l’heure. Il n’a rien