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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/151

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Le chemin de croix.

Frère Modestus, qui est peintre, y a vidé, avec son âme, ses plus beaux tubes de couleurs : du bleu vraiment bleu pour la robe de Marie ; son blanc le plus chaste pour la tunique de Jésus, un rouge cruel pour les braies des soldats, puis du violet, de l’or, du vert, suivant le caractère des autres personnages. Les couleurs entrent dans l’œil à éborgner un vrai peintre. Mais comme il souffre, Jésus, dans le pur vermillon de ses plaies, et sa pauvre Mère serait-elle encore aussi triste, si on ne lui avait fignolé, une à une, ses larmes, rondes et blanches, presque aussi grosses que ses yeux ?

Le cimetière.

Morts pour du bon, on ne les transporte pas au cimetière du village : ils ont le leur, sous les ifs du jardin, près du cloître. On les enterre sans cercueil, sur une planche, les mains jointes sous leur manteau, exactement pareils à ce qu’ils étaient à l’église. Seulement, on leur ferme le capuchon par-dessus la figure et ils ne sont plus debout.

L’étable.

Quatre-vingt-dix croupes de vaches, bien alignées, bien nettes, avec des pis très gros et des queues qui s’effilochent par le bout, comme la tresse d’une jeune fille un peu sale. Seul à l’autre bout, un taureau, à l’œil rouge, hume avec délice le parfum de ses quatre-vingt-dix femmes. Dans ce couvent d’où l’amour est exclu, lui, il peut.

Hospitalité.

Sans que vous disiez votre nom, si vous entrez, le frère hospitalier vous offrira de la bière, du fromage et du pain. Si vous restez quelques jours, vous devenez un hôte. On supposera que vous suivez les offices, on vous donnera un petit tableau