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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/21

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montane, le désert son simoun, le Nord sa bise. Le nôtre ne souffle qu’ici ; d’où vient-il ? Il est rugueux, il râpe. Les paysans ont trouvé le mot : Schrââl, long et mordant comme un rabot sur une planche.

Quand il passe sous les sapins, le vent aussi parle une autre langue. Il ne trouve plus de feuilles avec qui bavarder, la bruyère l’a écorché et vite, il file en sifflant contre ces milliers d’aiguilles qui le piquent.

Il y a quelque part, par delà les mares et les landes, un endroit qu’on appelle le « Dreiboomkesberg », la montagne aux trois petits arbres, à cause de trois arbres morts sur une butte. Les petits arbres sont très grands et la butte très petite. Mais dans ce pays tout en forêts et en plaines, on est plus facilement montagne que grand arbre.

L’église.

Avec son vaisseau en croix et sa tour effilée, elle se tient toute seule, loin des quinze maisons qui forment le bourg au long de la chaussée. On l’a mise à l’écart, ou peut-être sont-ce les maisons qui n’ont pas voulu la rejoindre, curieuses de voir ce qui passait sur la route.

Elle ne gronde pas, mais un peu triste, elle lève les yeux, ce qui lui fait de jolies fenêtres en ogives. Elle sait bien que l’un après l’autre, par la grande allée qu’ils lui ont faite, ses paroissiens viendront se tasser autour d’elle, au cimetière.

Elle n’a pour se tenir compagnie que le château du baron défunt : c’est un mauvais camarade, tout sourcilleux de lierres et qu’habite une âme noire et bossue en voiles de veuve.

L’église et le château se tournent le dos. Ils sont brouillés. On ne le dit pas, mais je crois qu’ils n’ont jamais pu s’entendre qui des deux avait la plus grosse tour.

Les tombes.

Quelques-unes sont en pierre avec des lettres d’or : on a mis à l’écart ces prétentieuses. Les autres se groupent pareilles : un tertre, une croix de bois, un nom : les morts sont égaux.