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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/32

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Le panier au bras, comme si elle portait au village le beurre et les œufs de la semaine, Phrasie vient rôder autour de son bien. Elle croit que je ne la vois pas. Elle se donne l’air de marcher vite, mais tous les trois pas, elle s’arrête.

Elle vérifie si le grand cerisier a conservé toutes ses branches, si rien ne cloche à la potence du puits, si le vent n’a pas définitivement raflé cette tuile qui branlait l’autre jour. Elle dédaigne mes choux qui sont plus gros que les siens.

Je l’appelle pour qu’elle entre.

Contente de voir, elle est furieuse de ce qu’elle voit. Le trou du plancher n’a-t-il pas grandi depuis la dernière fois ? Et tous ces clous qui martyrisent son mur !

— Tiens, fait-elle, vous avez pendu un nouveau cadre.

— Oui, Phrasie, et j’en ai d’autres.

Phrasie pince les lèvres.

Un mois durant nous avons boudé.

Une nuit le vent avait raflé la tuile.

— Il faut la remplacer, Monsieur.

— Cela vous regarde, Phrasie.

Ni l’un ni l’autre ne bougeant, la pluie par le trou pourrissait le plancher.

Un matin, encore au lit, j’entends qu’on marche au-dessus du grenier. Phrasie parlait bas à la grosse voix de son aîné qui est maçon.

Quand je me lève, il y a une tuile neuve.

Phrasie passait par là :

— Eh bien, Monsieur, vous l’avez remise.

— Oui, oui, Phrasie, et elle tient, je vous l’assure.

Phrasie sourit. Nous sommes tous deux contents.

La centenaire.

Celle-là, je ne la connaissais pas encore.

Je bêchais. Sa grande forme me prend tout à coup mon soleil. Plantée droit, elle m’examine avec des yeux ronds qui brillent en bleu comme les cailloux qu’on ramasse dans le sable, après la pluie.