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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/47

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Le forgeron


Laid, tordu, en tablier de cuir, Léonard a façonné toutes les charrues du village.

Il fait noir dans sa forge, noir avec une grande flamme et le forgeron comme une ombre parmi les étincelles. Quelquefois au-dessus du brasier sa face apparaît tout entière, rouge et nette, avec des yeux qui clignotent et sa barbe remplie de lumière. On voudrait emporter ce Rembrandt pour son mur.

Il vit avec une femme qui n’est pas sa femme et à laquelle il a façonné une série de Vulcains noirs et crépus comme lui.

Au village, pour un autre ce serait un scandale. Mais il est si matois, Léonard, il vous rafistole si volontiers, pour rien, une bêche tordue ou les tronçons d’une chaîne, que les paysans pointilleux ont oublié sa faute.

M. le curé lui-même, qui le confesse, feint de tout ignorer. Il habite non loin de la forge et quand il passe, il entre une minute et va jusqu’au fond dire un bonjour à la mère qui tend à son dernier un beau sein nu de Madone.

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L’abbé Brulant


Nous sommes de la même ville, mais il a fallu que nous fassions un crochet, lui par la Chine, moi par Bruxelles, pour nous rencontrer ici et faire connaissance.

Il portait déjà la culotte du jeune homme quand je n’étais pas encore né. Il a connu le collégien qui devait devenir mon père et folâtré avec une de mes tantes que je croyais une personne plus austère.

— Oh ! pas si austère, dit l’abbé.