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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/80

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dans leur enclos, elles arrivent secouant les voiles blancs de leurs ailes. Les plus câlines me volent sur les épaules et me caquettent dans l’oreille des phrases de bienvenue.

Seuls, les coqs se méfient à l’écart, amants de cœur jaloux du succès que me font leurs gonzesses.

Deux cents poules ! Je l’ai dit : il ne suffit pas de les avoir quelque part, puis d’attendre qu’elles pondent. Des poules, ça mange et ça fait le contraire. Elles ont des pattes et qui se cassent, des narines qui se bouchent, de petites bêtes qui les pompent sous les plumes jusqu’au sang. Il faut savoir raccommoder, déboucher, faire la chasse. Il faut que je leur mélange des graines, que je leur fauche à pleines brouettes de la verdure, que je me poisse les bras à leur triturer des pâtes, qu’éveillé dès l’aube, je saute du lit pour les sortir, de crainte qu’impatientées sous leurs perchoirs, elles n’écrasent les paniers d’excréments qu’elles m’ont pondus pendant la nuit.

Grâce à quoi, je suis un homme très occupé.

Au nouvel an, le garde champêtre m’apporte ma feuille de contribution : la somme de un franc trente-neuf due à l’État, à la province et à la commune, par le sieur Baillon, André, profession : rentier.

Je dis au garde :

— Ce n’est pas cher, mais pourquoi veut-on que je sois rentier ?

— Bah ! parce que vous l’êtes, Monsieur.

— Rentier, moi ! Mais non, mon ami, mais non. Que l’on mette sur ce papier : aviculteur, éleveur de poules, marchand d’œufs, paysan, que sais-je. Mais pas rentier, je ne le suis pas.

— Voyons, voyons, sourit le garde.

Il sait bien : un monsieur qui vient à la campagne pour élever des poules, c’est qu’il a des rentes.

Et mes voisins :

— Tout de même, Monsieur, tant de bêtes, c’est un bel amusement.