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Page:Baillon - Moi quelque part, 1920.djvu/86

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Je dis à Marie :

— Tu ne songes pas à vendre notre première Kloek ?

— Oh ! non, dit Marie, d’abord elle me paraît bien grasse.

— Grasse ou non, Marie, la première Kloek, je la garde. Tant qu’il lui plaira, elle restera chez nous.

— Bien, dit Marie.

Elle reste un instant à se taire.

— Et celle-là, fait Marie, elle me paraît aussi bien vieille.

— Celle-là ? Oui, c’est Tante Ida. J’y tiens, mais enfin, on ne peut les garder toutes. Un de ces jours, il faudra la vendre.

— Eh bien, dit Marie, moi, je te l’achète.

— Toi ? M’acheter une poule ? Tu es un peu bête. Elle est à toi comme à moi. Et puis, pourquoi faire ?

— Voilà, explique Marie, c’est peut-être stupide, mais depuis le temps, je voudrais bien manger une poule.

— Manger une poule, Marie !

— Oui, avoue Marie, avec du riz.

— Mais pense, une poule, ça ne se mange pas comme ça, il faudrait d’abord qu’on la tue.

— Je m’en charge, déclare Marie.

— Toi, tuer une poule !

— Mais oui, fait Marie, c’est tout simple.

Tuer une poule, chez moi, c’est bien la première fois. Cela m’effraie. Entre le oui et le non, j’hésite, un peu pâle.

— Après tout, dis-je, Marie, cela te regarde.

Tante Ida prise, Marie sait ce qu’il faut en faire. Pendant quelques jours, elle la nourrit dans une mue. La bête est là, au fond de la cour, derrière des barreaux. Elle s’ennuie, elle voudrait bien sortir. J’évite de passer, ou s’il le faut, je regarde autre part. Est-ce que je m’intéresse, moi, à cette poule ? Ce n’est plus Tante Ida. Mais non, mais non, c’est une étrangère qu’on engraisse.

Huit jours après, Marie m’appelle. Aïe !

Elle a mis un tablier très sale et tient à la main de grands ciseaux.

— Tu viens m’aider ?

— Non, Marie, si tu veux, je préfère… pas.