Page:Bakounine - Œuvres t2.djvu/289

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égoïstes, c’est vrai, mais ils n’ont pas diminué leur haine instinctive contre les beaux Messieurs, et surtout contre les propriétaires bourgeois, qui jouissent des fruits de la terre sans les produire par le travail de leurs bras. D’ailleurs le paysan est foncièrement patriotique, national, parce qu’il a le culte de la terre, une passion pour la terre, et rien ne sera plus facile, je le pense, que de le soulever contre ces envahisseurs étrangers, qui veulent enlever deux immenses territoires à la France.

Il est clair que pour soulever et pour entraîner les paysans, il faudra user d’une grande prudence, dans ce sens qu’il faut bien se garder, en leur parlant, de faire usage de ces idées et de ces mots, qui exercent une action toute-puissante sur les masses ouvrières des villes, mais qui expliqués de longue main aux paysans, par tous les réactionnaires possibles, depuis les propriétaires nobles ou bourgeois, jusqu’au fonctionnaire de l’État et au prêtre, dans un sens qu’ils détestent et qui résonne comme une menace à leurs oreilles, ne manqueraient pas de produire sur eux un effet tout contraire à celui qu’on désire. Non, il faut employer avec eux, tout d’abord, le langage le plus simple, celui qui correspond le mieux à leurs propres instincts et à leur entendement.[1] Dans les villages dans lesquels l’amour platonique et fictif de l’empereur existe réellement à l’état de préjugé et d’habitude passionnée, il ne faut pas même parler contre l’empereur. Il faut ruiner dans le fait le pouvoir de l’État, de l’empereur, sans rien dire contre lui, — en ruinant l’influence, l’organisation officielle, et autant qu’il sera possible, en détruisant les personnes mêmes

  1. Ce qui suit, lignes 30-36 de la page 38 du manuscrit de Bakounine, a été utilisé page 16 de la brochure (voir p. 99, l. 21, de cette réimpression). — J. G.