Page:Bakounine - Œuvres t3.djvu/333

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nière, en fixant l’objet de la terreur et de l’adoration animales ou du premier culte de l’homme, le généralise, le transforme pour ainsi dire en un être abstrait, en cherchant à le désigner par un nom. L’objet réellement adoré par tel ou tel individu reste toujours celui-ci : cette pierre, ce morceau de bois, ce chiffon, pas un autre ; mais du moment qu’il a été désigné par la parole, il devient une chose abstraite, générale : une pierre, un morceau de bois, un chiffon. C’est ainsi qu’avec le premier éveil de la pensée, manifesté par la parole, le monde exclusivement humain, le monde des abstractions commence.

Cette faculté d’abstraction, source de toutes nos connaissances et de toutes nos idées, est sans doute l’unique cause de toutes les émancipations humaines. Mais le premier éveil de cette faculté dans l’homme ne produit pas immédiatement sa liberté.

|178 Lorsqu’elle commence à se former, en se dégageant lentement des langes de l’instinctivité animale, elle se manifeste d’abord, non sous la forme d’une réflexion raisonnée ayant conscience et connaissance de son activité propre, mais sous celle d’une réflexion imaginative, inconsciente de ce qu’elle fait, et à cause de cela même prenant toujours ses propres produits pour des êtres réels, auxquels elle attribue naïvement une existence indépendante, antérieure à toute connaissance humaine, et ne s’attribuant d’autre mérite que celui de les avoir découverts en dehors d’elle-même. Par ce procédé, la réflexion imaginative de l’homme peuple