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Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/118

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sans le moindre souffle de vie, aucune action, aucun intérêt réel pour quoi que ce soit. On n’a même pas envie de causer avec n’importe qui ; déjà d’avance, on a la parfaite certitude que les paroles dites ne mèneront à rien, qu’aucune action n’en jaillira. À présent, ce sont les beaux jours du journalisme, c’est l’époque de son règne. Les Panaeff triomphent ; tous ceux qui savent manier la plume se frappent la poitrine avec passion et il n’en sort que des sons creux, parce qu’elle est vide de cœur. Leur cerveau est plein de certaines catégories d’idées toutes faites, de phrases composées d’avance, mais il n’est pas capable de travail productif. Leurs muscles manquent de force, leurs veines sont exsangues. Ce sont tous des fantômes prodiguant des paroles éloquentes et stériles, et l’on sent qu’en vivant au milieu de ces ombres, on perd aussi de sa force vitale et peu à peu l’on devient comme eux. Ils font à présent du commerce en détail, grâce au grand capital qui a été accumulé par Stankévitch, Biélinski, Granovski et par toi. Tombés dans un sommeil profond, ils délirent à haute voix en gesticulant et ne reviennent à la réalité que lorsqu’on touche à leur personnalité, à leur vanité, qui seule est la passion réelle de ces gens soi-disant distingués ; tandis que la passion de l’argent reste prédominante dans les autres couches de la société russe. Ces fantômes, auraient-ils donc la puissance de produire des miracles ? Et cependant, il en faudrait des miracles ; il faudrait des prodiges d’esprit, de passion et de volonté pour sauver la Russie. Je n’attends rien de ceux qui se sont fait un nom dans la littérature et je n’ai foi qu’en la force, restée latente, du peuple russe ; et j’ai foi aussi en le tiers-état qui, chez nous, se compose non pas de la classe des commerçants, plus pourrie encore