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Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/178

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grandes difficultés avec les Polonais. On ne trouve parmi eux qu’un très petit nombre de ces hommes avec lesquels nous pourrions être intimement liés. Savez-vous ce que m’a dit Demontovitcz ? Il a fini par m’avouer que non seulement il ne peut désirer la révolution en Russie, mais qu’il l’appréhende comme le mal le plus terrible, et que s’il avait à choisir entre la victoire provisoire de l’impérialisme et le salut de la Pologne par la révolution en Russie, il préférerait encore la première, car, tôt ou tard, on trouvera toujours le moyen de s’affranchir de l’impérialisme, tandis que la révolution sociale russe, en mettant en avant tout ce qu’il y a de barbare en Pologne, engloutirait définitivement la civilisation polonaise. Eh bien, mes amis, vous avez porté un jugement très juste dans cette question et c’est moi qui a eu tort. Oui, le meilleur des Polonais est notre ennemi en tant que nous sommes Russes. Et malgré tout cela, nous ne pouvons rester indifférents au mouvement polonais et nous ne devons pas regretter l’attitude que nous avons prise dans cette question. Rester muets devant une telle catastrophe, ne pas agir, ce serait nous suicider moralement et politiquement. Réduits à nous prononcer entre l’odieux bourreau et sa noble victime, nous avons pris le parti de cette dernière, sans nous préoccuper si elle a des sentiments très élevés. D’ailleurs, l’écrasement de la Pologne, c’est notre malheur ; et les exploits des troupes russes dans ce pays, notre honte. Le triomphe de Pétersbourg à Varsovie doit être funeste pour la Russie. C’est pourquoi, en agissant comme nous l’avons fait, nous avons rempli notre devoir sacré et nous suivrons toujours notre système sans prêter plus d’attention aux vociférations pétersbourgo-moscovites qu’aux lamentations polonaises.