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Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/239

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tique et que nous aurions à supporter un orage terrible soulevé par les seigneurs, par la presse, enfin, par tout le monde officiel de la Russie. Vous me direz qu’on nous lancera des injures de tous les côtés ; tant mieux pour nous. On nous oublie à présent, on nous tourne le dos avec indifférence, ce qui est bien pis. Et si le tzar renonce à la lecture de tes lettres, — le mal n’en sera pas très grand : tu n’en écriras plus, — il n’y aura que chose gagnée, c’est évident. Il est vrai que tes vieux et chauves amis se détourneraient définitivement de toi, et tu devrais, à jamais, renoncer à l’espoir de les rendre meilleurs. Eh bien, Herzen, crois-tu donc, réellement, à la possibilité et à l’utilité de les corriger ? Il me semble que, même dans les beaux jours de votre union, il existait, néanmoins, quelque malentendu entre vous. Ils s’inclinaient devant ton grand talent, ils admiraient la pénétration de ton esprit ; ils t’en estimaient d’autant plus que ta propagande était écoutée par l’empereur, les grands-ducs et tous les ministres, et qu’elle leur inspira du respect pour toi. Toute l’aristocratie de Saint-Pétersbourg tremblait devant ton jugement. Un seul mot de toi suffisait pour révoquer les gouverneurs généraux, tandis que les jeunes gouverneurs adjudants étaient fiers de se réclamer de tes amis. N’est-ce pas, Herzen, c’étaient là tes jours dorés ? En te voyant arriver à cette puissance quasi officielle, tes amis en Russie te vantèrent, te cajolèrent, te prodiguèrent des flatteries. Ils te regardèrent comme leur chef ; et en rampant à tes pieds, en s’enorgueillissant de ta confiance et en se prévalant d’être tes correspondants, ils croyaient, pour ainsi dire, partager ton pouvoir. Mais ces amis, voulurent-ils rester avec toi, socialiste ? Non, jamais ; et tu ne le sais que trop. Ton socialis-