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Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/373

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Nétchaïeff[1]. Mais ce qu’il y a de plus alarmant, c’est que, à l’occasion de cette extradition, notre gouvernement voudra, sans doute, reprendre le procès et fera de nouvelles victimes. Cependant, quelque voix secrète me dit que Nétchaïeff qui a péri à jamais et qui, certainement, en a conscience lui-même, que ce Nétchaïeff, embrouillé dans les équivoques et tout souillé qu’il est, est loin d’être un individu banal ; que dans cette occasion, son cœur révélera toute son énergie et son courage primitifs. Il périra comme un héros, et cette fois, il ne voudra trahir ni les personnes, ni la cause elle-même.

C’est là ma foi. Bientôt nous allons voir si j’ai raison. Je ne sais pas quel est ton sentiment, mais, pour ma part, je le plains beaucoup. Personne ne m’a fait, dans ma vie, tant de mal que lui, de mal prémédité, mais je le plains quand même. C’est un homme d’une rare énergie, et lorsque nous l’avons rencontré pour la première fois, son cœur brûlait d’amour et de compassion pour le malheureux peuple russe, surchargé et abruti ; il portait en son âme une véritable douleur de notre mal historique et populaire. À cette époque, il n’avait de malpropre que son extérieur, mais l’intérieur n’était pas souillé. La prétention de devenir un chef, qui alla se heurter d’une manière si fâcheuse contre sa folie et, grâce à son ignorance, contre la méthode dite machiavélique ou jésuitique, le jeta dans un abîme de boue. À la fin, il touchait vraiment à l’idiotisme. Figure-toi que lorsque nous l’avons prévenu quinze ou vingt jours avant son arrestation, — non pas directement, car, ni moi, ni personne de mes

  1. C’est la police Zuriçoise, vendue au gouvernement russe. (Trad.)