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Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/112

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le chien, par exemple, a l’idée saugrenue d’adopter le genre féminin, immédiatement il tombe au rang de la femme, il est condamné à l’accusatif. Voilà, direz-vous, une langue bien primitive ! Pourtant c’est la langue de Tourguenieff et de Tolstoï. Si les féministes de l’empire des tzars croient au progrès linguistique, ils devront réclamer sans retard le droit au génitif pour les femmes russes. — Je n’ai pas altéré la réalité de ce point de grammaire ; je l’ai seulement exposé comme on l’aurait fait s’il s’agissait de quelque langue polynésienne : la leçon est bonne à retenir.

Nous négligeons surtout de faire entrer le temps comme facteur du progrès linguistique.

Ce que nous connaissons du langage humain dans le passé compterait à peine pour une douzaine de mois aux yeux de la préhistoire et de l’anthropologie. Nous ignorons comment les hommes ont parlé avant l’an 3000 : qu’est-ce que cela en comparaison de tout le passé ? Un jour que M. Cartailhac, le grand anthropologiste, montrait à ses étudiants les fresques découvertes par lui dans les cavernes préhistoriques, un des assistants demanda si l’on pouvait fixer l’époque à laquelle ces peintures avaient été faites : « Oui, répondit calmement