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Page:Bally - Le Langage et la Vie, 1913.djvu/63

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gences de l’expression émotive. Se rappeler de quelque chose supplante peu à peu se rappeler quelque chose ; c’est que la construction « correcte » est inutilisable dans certains cas ; on peut dire : Je me souviendrai de vous, mais non : Je me vous rappellerai. Même remarque pour préférer à et préférer que (on peut dire : Je préfère la mort à la servitude, mais non : Je préfère mourir à être esclave). Autre exemple plus caractéristique : on supplante de plus en plus nous (Je suis prêt, est-ce qu’on part ?) : sans doute parce que, dans la première personne du pluriel nous chantons, le verbe a conservé une désinence spéciale et inutile, qui détonne avec celles de je chante, tu chantes, il chante, ils chantent, unifiées dans la prononciation. Le français, comme nous l’avons vu (p. 46), tend à marquer la distinction des personnes par les seuls pronoms sujets ; les désinences verbales faisant double emploi, il n’est pas étonnant qu’on cherche à les unifier, comme l’a fait l’anglais (cf. I, he, we, you, they sang ; I, we, you, they sing ; seule exception : he sings). La forme on chante répond à ce besoin d’unification. Le peuple conserve, il est vrai, le pronom nous comme pronom sujet accentué (Nous on n’est pas des princes) ; cela aussi est parfaitement