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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/138

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L’HOMME DE COUR

mensonge va toujours le premier, la vérité ne trouve plus de place. L’entendement et la volonté ne se doivent jamais remplir ni de la première proposition, ni du premier objet ; ce qui est la marque d’un pauvre fonds. Quelques gens ressemblent à un pot neuf, qui prend pour toujours l’odeur de la première liqueur, bonne ou mauvaise, qu’on y verse. Quand cette faiblesse vient à être connue, elle est pernicieuse, parce qu’elle donne pied aux artifices de la malice. Ceux qui ont de mauvaises intentions se hâtent de donner leur teinture à la crédulité. Il faut donc laisser une place vide pour la révision. Qu’Alexandre garde son autre oreille pour la partie adverse ; qu’il laisse une porte ouverte à la seconde et à la troisième information. C’est une marque d’incapacité de s’en tenir à la première, et même un défaut qui approche fort de l’entêtement.

CCXXVIII

N’avoir ni le bruit ni le renom
d’avoir méchante langue.

Car c’est passer pour un fléau universel. Ne sois point ingénieux aux dépens d’autrui : ce qui est encore plus odieux que pénible. Chacun se venge du médisant en disant mal de lui ; et comme il est seul, il sera bien plutôt vaincu, que les autres, qui sont en grand nombre, ne seront convaincus. Le mal ne doit jamais être un sujet de contentement ni de commentaire. Le médisant est haï pour toujours ; et, si quelquefois de grands personnages conversent avec lui, c’est plu-