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Page:Baltasar Gracián - L’Homme de cour.djvu/156

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L’HOMME DE COUR

Les ennemis couverts, qui étaient aux aguets, soufflent le feu dès qu’ils voient la guerre déclarée. D’amis qui se brouillent se font les pires ennemis. Ils chargent des défauts d’autrui celui de leur propre choix. Parmi les spectateurs de la rupture, chacun en parle comme il pense, et en pense ce qu’il désire. Ils condamnent les deux parties, ou d’avoir manqué de prévoyance au commencement, ou de patience à la fin, mais toujours de prudence. Si la rupture est inévitable, il faut au moins qu’elle soit excusable. Un refroidissement vaudra mieux qu’une déclaration violente. C’est ici qu’une belle retraite fait honneur.

CCLVIII

Chercher quelqu’un qui aide à porter le faix de l’adversité.

Ne sois jamais seul, surtout dans les dangers ; autrement tu te chargerais de toute la haine. Quelques-uns peuvent s’élever en prenant toute la surintendance, et ils se chargent de toute l’envie ; au lieu qu’avec un compagnon, l’on se garantit du mal, ou du moins l’on n’en porte qu’une partie. Ni la fortune, ni le caprice du peuple ne se jouent pas si facilement à deux. Le médecin adroit, qui n’a pas réussi à la guérison de son malade, ne manque jamais d’en appeler un autre qui, sous le nom de consultation, l’aide à soulever le cercueil. Partage donc la charge et le chagrin, car il est insupportable d’être tout seul à souffrir.